Guillaume Tell” by Gioachino Rossini libretto (French)

Personnages

Guillaume Tell (Baryton)
Hedwige, son épouse (Mezzo-soprano)
Jemmy, leur fils (Soprano)
Gessler, gouverneur des cantons de Schwitz et d'Uri (Basse)
Mathilde, sœur de Gessler (Soprano)
Arnold, prétendant de Mathilde (Ténor)
Melchthal, père d'Arnold (Basse)
Rodolphe, capitaine dans la garde de Gessler (Ténor)
Walter Furst, suisses conjurés (Basse)
Leuthold, un berger (Basse)
Ruedi, un pêcheur (Ténor)
Trois fiancées et leurs compagnes
Paysans et paysannes des trois cantons
Chevaliers allemands, pages, dames d'honneur de la princesse
Chasseurs, Gardes de Gesler, Soldats autrichiens
Tyroliens et Tyroliennes

L'opéra se déroule au XVIIIe siècle et raconte la fameuse histoire de Guillaume Tell qui rassemble les Suisses contre les Autrichiens. Une intrigue secondaire évoque l'amour du patriote Arnold pour l'Autrichienne Mathilde.

OUVERTURE

PREMIER ACTE

La scène se passe à Bûrglen, canton d'Uri ; à
droite se trouve la maison de Guillaume Tell ;
à gauche débouche le torrent de Schàchental,
sur lequel un pont est jeté ; une barque est
attachée au rivage. Des paysans entourent de
verdure des cabanes destinées à trois
nouveaux couples ; d'autres se livrent à divers
travaux agrestes. Jemmy s'essaie à tirer à
l'arc ; Tell pensif et appuyé sur sa bêche, est
arrêté au milieu d'un sillon. Hedwige, assise
près d'un chalet, assemble les joncs d'une
corbeille et regarde alternativement son
époux et son fils.


CHŒUR
Quel jour serein le ciel présage !
Célébrons-le dans nos concerts ;
Que les échos de ce rivage
Élèvent nos chants dans les airs !
Que les échos,etc.
Par nos travaux, rendons hommage
Au créateur de l'univers.
Quel jour serein, etc.

PÊCHEUR
Accours dans ma nacelle,
Timide jouvencelle ;
Du plaisir qui t'appelle
C'est ici le séjour.
Je quitte le rivage ;
Lisbeth, sois du voyage ;
Ah ! viens, le ciel sans nuage
Nous promet un beau jour, etc.

TELL (à part)
Il chante en son ivresse,
Ses plaisirs, sa maîtresse ;
De l'ennui qui m'oppresse,
Il n'est pas tourmenté.
Quel fardeau que la vie !
Pour nous plus de patrie !
Il chante, et l'Helvétie
Pleure, pleure sa liberté.

PÊCHEUR
Des fleurs ceignent sa tête ;
Leur puissance secrète,
Conjurant la tempête,
Nous répond du retour, etc.
Et toi, lac solitaire,
Témoin d'un doux mystère,
Ne dis pas à la terre
Le secret de l'amour ! etc.

JEMMY, HEDWIGE
Son imprudent courage
Appelle le naufrage
Et défiant l'orage,
Ne pense qu'au retour, etc.
Vers l'écueil qu'on redoute,
S'il suivait sa route,
Un chant de mort, sans doute,
Suivrait les chants d'amour ! etc.

TELL (à part)
Quel fardeau que la vie !
Pour nous plus de patrie !
Il chante et l'Helvétie
Pleure son dernier jour !
Il chante et l'Helvétie, etc.
(On entend les ranz des vaches.)

CHŒUR
On entend des montagnes
Le signal du repos ;
La fête des campagnes
Abrège nos travaux, etc.
Cette fête champêtre,
Qu'ignore l'œil du maître,
Nous fera reconnaître
Le doux pays natal.
(Le vieux berger Melchthal descend lentement
le chemin de la montagne, appuyé sur le bras
de son fils Arnold et suivi de quelques
Suisses. Tout le village l'accueille avec
enthousiasme et se presse joyeusement
autour de lui.)


JEMMY, HEDWIGE, PÊCHEUR, TELL, CHŒUR
Salut, honneur, hommage au vertueux
Melchthal ! etc.

HEDWIGE
La fête des pasteurs, selon l'antique usage,
De trois jeunes amants fait trois heureux époux.

ARNOLD (à part)
Des amants, des époux !...Ah ! quel penser m'assiège !
(Hedwige s'avance vers Melchthal, pour lui
demander de bénir l'union des jeunes couples.)


HEDWIGE
Bénis par vous.

MELCHTHAL (cédant)
Par moi ?

HEDWIGE
Vous nous bénirez tous.

TELL
De l'âge et des vertus c'est le saint privilège,
Et des bienfaits du ciel un présage bien doux.

MELCHTHAL
Pasteurs, que vos accents s'unissent,
Qu'au loin vos trompes retentissent !
Célébrez tous en ce beau jour
Le travail, l'hymen et l'amour...

CHŒUR (Femmes)
Aux chants joyeux qui retentissent,
Que nos accents plus doux s'unissent !
Célébrons aussi tour à tour
Le travail, l'hymen et l'amour !

ARNOLD, PÊCHEUR, TELL, MELCHTHAL, JEMMY, HEDWIGE, CHŒUR
Célébrons tous en ce beau jour,
Le travail, l'hymen et l'amour ! etc.

CHŒUR
Près des torrents qui grondent,
Que les cors se répondent !

Et l'écho de ces monts,
Retenant nos chansons
En dira les doux sons
Aux forêts, aux vallons !
Oui, l'écho de ces monts, etc.
...Aux bois, aux vallons !
Célébrons par nos jeux
Et l'hymen et ses nœuds, etc.
Près des torrents qui grondent,
Que les cors se répondent, etc.
Célébrons, célébrons par nos jeux
Et l'hymen et ses nœuds, etc.
Près des torrents qui grondent,
Que les cors se répondent,
Par nos chants, par nos jeux
Des pasteurs amoureux
Célébrons les doux nœuds, etc.
Et volons auprès d'eux !
Par nos chants, etc.
...Et volons auprès d'eux !
(La foule se disperse.)

TELL (à Melchthal)
Contre les feux du jour que mon toit solitaire
Vous offre un abri tutélaire !
C'est là que dans la paix ont vécu mes aïeux,
Que je fuis les tyrans, que je cache à leurs yeux
Le bonheur d'être époux, le bonheur d'être père.
(embrassant son fils)

MELCHTHAL (à Arnold)
Le bonheur d'être père !
Tu l'entends, ô mon fils, c'est le suprême bien.
Veux-tu tromper toujours le vœu de ma vieillesse ?
La fête des pasteurs par un triple lien
Va consacrer, dans ce jour d'allégresse,
Le serment de l'hymen, et ce n'est pas le tien ?
(Tous s'éloignent, sauf Arnold.)

ARNOLD
Le mien, dit-il, jamais le mien !
Que ne puis-je taire à moi-même

De quel fatal objet tous mes sens sont épris!
Toi, dont le front aspire au diadème,
Ô Mathilde, je t'aime !
Je t'aime, et je trahis
Le devoir et l'honneur, mon père et mon pays !
Contre l'avalanche homicide
Ma force te servit d'égide :
Je te sauvai, toi, la fille des rois,
Toi qu'une puissance perfide
Destine à nous donner des lois !
Ivre d'un fol espoir, ma jeunesse insensée
A prodigué son sang pour des maîtres ingrats :
Avoir connu sous eux la gloire des combats,
Voilà ma honte ! aussi, mes pleurs l'ont effacée :
Par un funeste amour ne la rappelons pas.
(sons d'une chasse au loin)
Mais quel bruit ? Mais quel bruit ?
Des tyrans qu'a vomis l'Allemagne
Le cor sonne sur la montagne.
Gessler est là ; Mathilde l'accompagne ;
Il faut la voir encore, entendre encore sa voix ;
Soyons heureux et coupable à la fois !
(Arnold va pour s'éloigner quand il se trouve
en face de Guillaume Tell qui sort de sa maison.)


TELL
Où vas-tu ?
Quel transport t'agite ?
L'approche d'un ami n'arrête point ta fuite ?

ARNOLD
Non, non, non !

TELL
Pourquoi trembles-tu ?

ARNOLD (à part)
De feindre aurai-je le courage ?
(haut)
Sous le fardeau de l'esclavage
Quel grand cœur, quel grand cœur n'est pas abattu ?

TELL (à part)
Je comprendrais des maux que je partage :
Arnold ne m'a pas répondu,
Arnold ne m'a pas répondu !

ARNOLD (à part)
Suis-je assez malheureux ?

TELL (à part)
Malheureux ?
Il me cache un mystère.
(haut)
Pourquoi te taire ?

ARNOLD
Qu'espères-tu ? Qu'espères-tu ?

TELL
Rendre à ton cœur, rendre à ton cœur la
force et la vertu... Arnold !

ARNOLD (à part)
Ah ! Mathilde, idole de mon âme !
Il faut donc vaincre ma flamme ?

TELL (à part)
Je sais lire dans son cœur...

ARNOLD (à part)
Ô ma patrie ! mon cœur te sacrifie
Et mon amour et mon bonheur ! etc.

TELL (à part)
Il rougit de son erreur...
En servant la tyrannie
S'il fut traître à sa patrie
Son remords du moins expie
Un moment de déshonneur.
J'ai su lire dans son cœur...
Il rougit de son erreur,
En servant la tyrannie, etc.
(à Arnold)

Pour nous plus de crainte servile ;
Soyons hommes, et nous vaincrons !

ARNOLD
Et comment venger nos affronts ?

TELL
Tout pouvoir injuste est fragile.

ARNOLD
Contre des maîtres étrangers
Quels sont nos appuis ?

TELL
Les dangers ;
Il n'en est qu'un pour nous,
Pour eux il en est mille.

ARNOLD
Songe aux biens que tu perds !

TELL
Qu'importe !

ARNOLD
Quelle gloire espérer des revers ?

TELL
Je ne sais trop ce que c'est que la gloire,
Mais je connais le poids des fers,
Mais je connais le poids des fers.

ARNOLD
Ton espérance -

TELL
Est la victoire :
La tienne aussi, j'ai besoin de la croire.

ARNOLD
Nous serions libres ?

TELL
C'est mon vœu.

ARNOLD
Mais où combattre ?

TELL
Dans ce lieu.

ARNOLD
Vaincus, quel sera notre asile ?

TELL
La tombe.
ARNOLD
Et notre vengeur, et notre vengeur ?

TELL
Dieu !

ARNOLD (à part)
O Mathilde, idole de mon âme !
Il faut donc vaincre ma flamme !
O ma patrie ! mon cœur te sacrifie
Et mon amour et mon bonheur ! etc.

TELL (à part)
Je sais lire dans son cœur.
Il rougit de son erreur ;
En servant la tyrannie,
S'il fut traître à sa patrie,
Son remords du moins expie
Un moment de déshonneur ! etc.

ARNOLD
Du danger quand sonnera l'heure,
Ami, je serai prêt.
(Arnold va pour partir.)

TELL
Demeure !

ARNOLD (à part)
Ô contretemps fatal !

TELL
Melchthal ! Melchthal !
(on entend encore la chasse)
Qu'entends-je ? c'est Gessler !
Quoi ! tandis qu'il nous brave,
Voudrais-tu, volontaire esclave,
D'un regard dédaigneux implorer la faveur ?

ARNOLD
Quel sévère langage !
Pour moi c'est un outrage.
Je vais sur son passage
Braver l'insolent oppresseur.

TELL
Point d'entreprise téméraire,
Songe à ton père ; il faut le protéger ;
À ta patrie, à ta patrie : il faut la venger, il
faut la venger, il faut la venger.
ARNOLD (à part)
Mon père !

TELL (à part)
Il hésite...

ARNOLD (à part)
Mon pays !

TELL (à part)
Il pâlit !

ARNOLD (à part)
Ma tendresse !

TELL (à part)
Quel est donc...

ARNOLD (à part)
Que faire ?

TELL (à part)
...ce mystère ?

ARNOLD (à part)
Ô ciel, tu sais si Mathilde m'est chère !
Ô ciel, tu sais si Mathilde m'est chère !
Mais à la vertu je me rends,
Mais à la vertu je me rends.
Haine, malheur, malheur à nos tyrans !
(rumeur joyeuse de la fête qui approche)

TELL
Entends au loin, entends au loin
Ces chants de l'hyménée !
N'attristons pas la fête des pasteurs :
À leurs plaisirs ne mêlons pas de pleurs,
Et que, du moins une journée,
Un peuple échappe à ses malheurs.
Et que du moins, etc.

ARNOLD
À ses regards cachons mes pleurs,
Je n'en dois plus qu'à nos malheurs.
Ô Ciel, tu sais si Mathilde m'est chère, etc.

TELL
Il combattra dans nos rangs,
Il combattra dans nos rangs, dans nos rangs.
Haine, malheur, malheur à nos tyrans !
ARNOLD
Mais à la vertu je me rends, etc.
Haine et malheur à nos tyrans ! etc.
(Le cortège des nouveaux mariés arrive. Trois
villageois pénètrent dans les chalets pour y
chercher les jeunes épousées. Hedwige,
Jemmy et Melchthal sortent de la maison de Tell.)

HEDWIGE
Sur nos têtes le soleil brille
Et semble s'arrêter au milieu de son cours,
Pour voir la fête de famille.
Vénérable Melchthal, honneur des anciens jours,
C'est à vous de bénir leurs pudiques amours.
(Les trois couples s'avancent et s'agenouillent
devant le vieux Melchthal, assis sous un arc
de feuillage dressé par les paysans.)


MELCHTHAL (aux jeunes mariés)
Quand le Ciel entend votre promesse
Est-ce à moi de la consacrer ?

TELL
Oui, rendre hommage à la vieillesse,
Mon Dieu, c'est encore t'honorer.

TOUS (sauf Arnold)
Ciel, qui du monde es la parure,
Pour eux fais luire un doux augure !
Car leur tendresse est aussi pure
Que ta lumière en un beau jour ! etc.

ARNOLD (à part)
Ils vont s'unir. Quelle souffrance !
Ils vont s'unir. Pour moi plus d'espérance !
Quels maux j'endure ! fatal amour !
Car leur tendresse est aussi pure
Que ta lumière en un beau jour ! etc.

MELCHTHAL (aux jeunes mariés)
Des antiques vertus vous nous rendrez l'exemple.
Songez, jeunes pasteurs,
Que la Suisse qui vous contemple
Demande à votre hymen des appuis, des vengeurs :

Et vous de vos enfants, ô fidèles compagnes !
Apprenez à vos fils quels furent leurs aïeux
Qu'ils soient grands à leur tour,
Qu'ils soient libres comme eux -
Qu'ils soient l'orgueil de nos montagnes.
(On entend de nouveau les bruits de la chasse.)

TELL
Encore Gessler ! Encore Gessler !

ARNOLD (à part, quittant sans être vu)
Courons !

TELL
Gessler proscrit ces vœux, écoutez le tyran,
Écoutez, il vous crie qu'il n'est plus de patrie,
Que pour jamais elle est tarie,
La source du sang généreux
Qui bouillonnait au cœur de nos aïeux.
Un peuple sans vertus n'enfante plus de braves !
Que légueriez vous à vos fils ?
Les fers dont vos bras sont meurtris.
Femmes, de votre couche exilez vos maris,
Il est toujours assez d'esclaves.

HEDWIGE
Quels transports semblent t'agiter !
Pour les laisser librement éclater le jour est-il venu ?

TELL
Peut-être !
Je ne vois plus Arnold.

JEMMY
Il nous quitte.

TELL
Il me fuit.
Il me dérobe en vain le trouble qui le suit.
(à Hedwige)
Je cours l'interroger, toi, ranime les jeux.

HEDWIGE
Tu me glaces de crainte et tu parles de fête !

TELL
Qu'elle cache aux tyrans le bruit de la
tempête !
Étouffe-la sous vos accents joyeux :
Elle ne doit gronder pour eux
Qu'en tombant sur leur tête !
(Il s'éloigne.)

CHŒUR (dansant)
Hyménée
Ta journée
Fortunée
Luit pour nous.
Ton beau jour
Luit pour nous, etc.
Des couronnes
Que tu donnes,
Ces époux
Sont jaloux.
D'allégresse,
De tendresse,
Leur jeunesse
S'embellit, etc.
Sur nos têtes
Les tempêtes
Sont muettes, etc.
Tout nous dit -
Hyménée,
Ta journée, etc.
Par tes flammes
Dans nos âmes
Tu proclames
Notre espoir ;
Ton ivresse
Joint sans cesse
La tendresse
Au devoir, etc.
Hyménée,
Ta journée, etc.
...ces époux
Sont jaloux.
(Les trois mariés et leurs compagnes forment
un pas de six. À ces danses succède le jeu de
l'arc; plusieurs tireurs s'essaient sans réussir;
Jemmy, plus heureux atteint le but dès le
premier coup.)


Gloire, honneur au fils de Tell,
Il obtient le prix de l'adresse ! etc.

JEMMY (courant à sa mère)
Ah ! Ma mère ! ma mère !

HEDWIGE
Ô moment plein d'ivresse !

CHŒUR
Il obtient le prix de l'adresse :
C'est l'héritage paternel.
Gloire ! Gloire !
Enfants de la nature,
Le simple habit de bure
Nous tient lieu de l'armure
Qui défend les guerriers.
Mais, au but qui l'appelle
Notre flèche est fidèle,
Et l'espoir avec elle
Renaît dans nos foyers, etc. etc.

JEMMY
Pâle et tremblant, se soutenant à peine,
Ma mère, un pâtre accourt vers nous.

PÊCHEUR
C'est le brave Leuthold ; quel malheur nous
l'amène ?
(Leuthold apparaît, pantelant, s'appuyant sur
une hache ensanglantée.)


LEUTHOLD
Sauvez-moi ! Sauvez-moi !

HEDWIGE
Que crains-tu ?

LEUTHOLD
Leur courroux.

HEDWIGE
Leuthold, quel pouvoir te menace ?

LEUTHOLD
Le seul qui n'a jamais fait grâce,
Le plus cruel, le plus affreux de tous...
Ô mes amis ! sauvez-moi de ses coups !

MELCHTHAL
Qu'as-tu fait ?

LEUTHOLD
Mon devoir. De toute ma famille
Le ciel ne me laissa qu'un enfant, qu'une
fille ;
Du Gouverneur un impie soutien,
Un soldat l'enlevait - elle mon dernier bien !
Hedwige, je suis père et j'ai su la défendre.
Ma hache sur son front ne s'est pas fait
attendre ;
Voyez-vous ce sang ? c'est le sien.

MELCHTHAL
Il eut le courage d'un père,
Mais pour lui du tyran redoutons la colère.

LEUTHOLD
Un refuge assuré m'attend sur l'autre bord, -
(se tournant vers le pêcheur)
- conduis-moi.

PÊCHEUR
Ce torrent, cette roche
Du rivage opposé ne permet point
l'approche.
Affronter cet écueil c'est courir à la mort.

LEUTHOLD
Ah ! puisses-tu, barbare, à ton heure dernière,
Trouver Dieu sourd à ton remord,
Comme tu l'es à ma prière !

TELL (revenant, à part)
Arnold a disparu, mes pas n'ont pu
l'atteindre.

CHŒUR DES SOLDATS (de loin)
Leuthold, malheur à toi !

LEUTHOLD
Grand Dieu !

CHŒUR DES SOLDATS
Malheur !

LEUTHOLD
J'implore ta faveur !

TELL
J'entends menacer et se plaindre.

LEUTHOLD
Guillaume, le destin m'accable,
On me poursuit, je ne suis point coupable ;
Je meurs pourtant si je ne fuis soudain :
Pour mon salut il n'est qu'un seul chemin.

TELL
Ta barque est là, pêcheur, tu l'entends.

LEUTHOLD
C'est en vain ;
Comme le Gouverneur il est impitoyable.

TELL
Du ciel il méconnait la loi,
Il te refuse ! eh bien ! suis-moi !

CHŒUR DES SOLDATS (tout près)
C'est du sang que le meurtre exige.
Malheur à toi, Leuthold !

TELL (à Leuthold)
Hâtons-nous, les voilà.
Adieu.

HEDWIGE
Tu vas périr.

TELL
Ah ! ne crains rien, Hedwige.
Les périls sont bien grands ;
(montrant le ciel)
mais Dieu le conduira !
(Hedwige veut retenir son mari ; Jemmy
cherche de son côté à suivre son père ; Tell
les confie tous deux au vieux Melchthal, et,
guidant les pas mal assurés de Leuthold, il
parvient à le faire entrer dans la barque à
l'instant où les soldats vont les saisir tous
deux ; la barque s'éloigne aussitôt.)


CHŒUR DES VILLAGEOIS
Dieu de bonté, Dieu tout-puissant,
Des oppresseurs confonds la rage !
Daigne dérober au naufrage
Le défenseur de l'innocent,
Daigne protéger le courage
Du défenseur de l'innocent !

RODOLPHE
De la justice voici l'heure !

CHŒUR DES SOLDATS
De la justice voici l'heure !

RODOLPHE
Malheur au meurtrier -

CHŒUR DES SOLDATS
Malheur au meurtrier -

RODOLPHE
Qu'il meure !

CHŒUR DES SOLDATS
Qu'il meure !

RODOLPHE
Qu'il meure !

CHŒUR DES SOLDATS
Qu'il meure !

CHŒUR DES VILLAGEOIS
Dieu de bonté, Dieu tout-puissant, etc.
(Ici on voit la barque s'approcher de la rive opposée.)

JEMMY, HEDWIGE
Il est sauvé !

RODOLPHE
Que vois-je ? ô rage !

CHŒUR DES SOLDATS
Il a franchi le funeste passage.

HEDWIGE
De Dieu je reconnais l'ouvrage.

JEMMY, MELCHTHAL
De Dieu je reconnais l'ouvrage.

RODOLPHE
Leur joie est un nouvel outrage ;
Esclaves, malheur à vous tous !

JEMMY, MELCHTHAL (à part)
Quelle insolence !
Pourquoi l'âge
Ne sert-il pas mieux mon courroux ?

CHŒUR DES VILLAGEOIS
Sur nos têtes gronde l'orage,
Éloignons-nous, éloignons-nous !

RODOLPHE
Restez ! il est plus d'un coupable ;
Au meurtrier qui prêta son secours ?
Nommez le traître, il y va de vos jours.

JEMMY
Ils vont parler...

HEDWIGE
Ils vont parler...

JEMMY
...la terreur les accable.

HEDWIGE
...la terreur les accable.

RODOLPHE
(faisant cerner la foule par ses soldats)
Obéissez,
Il y va de vos jours.

CHŒUR DES SOLDATS
Il y va de vos jours.

JEMMY, HEDWIGE, CHŒUR DES VILLAGEOISES
(tombent à genoux)
Vierge que les chrétiens adorent.
Entends nos voix, elles t'implorent ;
Dérobe au glaive des méchants
Et nos/leurs maris et nos/leurs enfants !
Vierge que les chrétiens, etc.

PÊCHEUR
Il y va de vos jours.
Ah ! craignons nos tyrans ! etc.

MELCHTHAL
Il y va de nos jours !
Je les vois tous tremblants ! etc.

CHŒUR DES VILLAGEOIS
Il y va de nos jours !
Ah ! craignons nos tyrans ! etc.

CHŒUR DES SOLDATS
Les vois-tu tous tremblants ?
Il y va de vos jours !
Les vois-tu tous tremblants ? etc.

RODOLPHE
Je les vois tous tremblants.
Obéissez, obéissez,
Il y va de vos jours ! etc.

MELCHTHAL
Comme lui nous aurions dû faire.
Amis, calmez votre frayeur,
Il ose agir, osez vous taire !

CHŒUR DES VILLAGEOIS
Il ose agir, osons nous taire !

RODOLPHE
Tremblez, tremblez ! nommez le traître !

MELCHTHAL
Dis au tyran que cette terre
Ne porte point de délateur.

RODOLPHE
Qu'on saisisse ce téméraire !
Qu'on saisisse ce téméraire
Qui brave ma juste fureur.
Que du ravage,
Que du pillage
Sur ce rivage
Pèse l'horreur !
Honte et misère
Sont le salaire
Que ma colère
Lègue au malheur !

JEMMY
Si du ravage,
Si du pillage,
Sur ce rivage
Pèse l'horreur,
Vil mercenaire,
L'arc de mon père
Peut nous soustraire
À ta fureur !

JEMMY, HEDWIGE, PÊCHEUR, MELCHTHAL, CHŒUR DES VILLAGEOIS
Si du ravage,
Si du pillage,
Sur ce rivage
Pèse l'horreur,
Vil mercenaire,
L'arc de mon/son père
Peut nous soustraire
À ta fureur.
Nous bravons ta fureur ! etc.

RODOLPHE
Que du ravage,
Que du pillage,
Sur ce rivage
Pèse l'horreur !
Ah ! craignez ma fureur ! oui ! etc.

CHŒUR DES SOLDATS
Que du ravage,
Que du pillage,
Sur ce rivage
Pèse l'horreur !
Honte et misère
Sont le salaire
Que ma colère
Lègue au malheur !

RODOLPHE
Que du ravage, etc.

JEMMY
Si du ravage, etc.

JEMMY, HEDWIGE, PÊCHEUR, MELCHTHAL, CHŒUR DES VILLAGEOIS
Si du ravage,
Si du pillage, etc.
...nous bravons ta fureur !

RODOLPHE, CHŒUR DES SOLDATS
Que du ravage,
Que du pillage, etc.
...ah ! craignez ma/sa fureur !
(Les soldats s'emparent de Melchthal ; les Suisses
cherchent à le délivrer, mais ils sont sans armes,
et l'on entraîne violemment sous leurs yeux le vieillard
qu'ils voudraient suivre, quand une haie de hallebardes
les arrête. Le rideau tombe sur ce tableau.)


DEUXIÈME ACTE

Les hauteurs du Rutli, surplombant le Lac des
Quatre-Cantons (Lac de Lucerne). On aperçoit
aux confins de l'horizon la cime des
montagnes de Schwyz ; au bas se trouve le
village de Brunnen. Des sapins touffus qui
s'élèvent des deux côtés de la scène
complètent la solitude.

(Des piqueurs, portant des flambeaux, ouvrent
la marche ; d'autres dirigent la meute ;
d'autres arrivent avec des cerfs, des renards
et des loups tués ; des dames et des
seigneurs à cheval, ayant le faucon au poing,
et suivis de pages traversent le théâtre ;
enfin, des chasseurs à pied font une halte et
vident les gourdes dont ils sont munis.)


CHŒUR DES CHASSEURS
Quelle sauvage harmonie
Au son des cors se marie !
Le cri du chamois mourant
Se mêle au bruit du torrent ;
L'entendre exhaler sa vie
Est-il un plaisir plus grand ?
Des tempêtes la furie
N'a rien de plus enivrant, etc.
(On entend le son d'une cloche.)


UN CHASSEUR
Quel est ce bruit ?

CHŒUR DES BERGERS
(dans la montagne)
Au sein de l'onde qui rayonne
Le soleil, fuit, le soleil fuit ;
Des monts que la neige couronne
L'éclat s'évanouit, l'éclat s'évanouit.
Du village la cloche sonne,

C'est notre retour qu'elle ordonne.
Voici la nuit, voici la nuit.

UN CHASSEUR
Des pâtres la voix monotone
Encore, encore nous poursuit ;
Du Gouverneur le cor résonne,
(avec CHŒUR DES CHASSEURS)
C'est notre retour qu'il ordonne.
Voici la nuit, voici la nuit !
Le cor résonne, le cor résonne,
Voici la nuit, voici la nuit !
(Ils sortent. Mathilde entre, elle semble s'être
séparée à dessein du gros de la chasse.)

MATHILDE
Ils s'éloignent enfin ; j'ai cru le reconnaître ;
Mon cœur n'a point trompé mes yeux.
Il a suivi mes pas, il est près de ces lieux.
Je tremble !... s'il allait paraître !
Quel est ce sentiment profond, mystérieux
Dont je nourris l'ardeur, que je chéris peut-être ?
Arnold ! Arnold ! est-ce bien toi,
Simple habitant de ces campagnes,
L'espoir, l'orgueil de ces montagnes,
Qui charmes ma pensée et causes mon effroi ?
Ah ! que je puisse au moins l'avouer à moi-même !
Melchthal, c'est toi que j'aime ;
Tu m'as sauvée le jour
Et ma reconnaissance excuse mon amour.
Sombre forêt, désert triste et sauvage,
Je vous préfère aux splendeurs des palais ;
C'est sur les monts, au séjour de l'orage,
Que mon cœur, que mon cœur peut renaître à la paix ;
Mais l'écho seulement apprendra mes secrets, etc.
Toi, du berger astre doux et timide,
Qui, sur mes pas, viens semant tes reflets,
Ah ! sois aussi mon étoile et mon guide !

Comme lui, tes rayons, tes rayons sont discrets,
Et l'écho seulement redira mes secrets, etc.
(Arnold s'est montré pendant les dernières
mesures de la romance.)


ARNOLD
Ma présence pour vous est peut-être un outrage ?
Mathilde, mes pas indiscrets
Ont osé jusqu'à vous se frayer un passage.

MATHILDE
On pardonne aisément les torts que l'on partage,
Arnold, je vous attendais.

ARNOLD
Ce mot où votre âme respire,
Je le sens trop, la pitié vous l'inspire ;
Vous plaignes mon égarement ;
Je vous offense en vous aimant.
Que ma destinée est affreuse !

MATHILDE
La mienne est-elle plus heureuse ?

ARNOLD
Il faut parler, il faut, dans ce moment
Si cruel et si doux, si dangereux peut-être,
Que la fille des rois apprenne à me connaître ;
J'ose le dire avec un noble orgueil,
Pour vous le ciel m'avait fait naître.
D'un préjugé fatal j'ai mesuré l'écueil ;
Il s'élève entre nous de toute sa puissance ;
Je puis le respecter, mais c'est en votre absence.
Mathilde, ordonnez-moi de fuir loin de vos yeux,
D'abandonner ma patrie et mon père,
D'aller mourir sur la terre étrangère,
De choisir pour tombeau des bords inhabités,
Prononcez sur mon sort, dites un mot.

MATHILDE
Restez.
Oui, vous l'arrachez à mon âme
Ce secret qu'ont trahi mes yeux,

Oui, vous l'arrachez, etc.
Je ne puis étouffer ma flamme,
Dût-elle nous perdre tous deux ! etc.

ARNOLD
Il est donc sorti de son âme
Ce secret qu'ont trahi ses yeux !
Il est donc sorti, etc.
Sa flamme répond à ma flamme,
Dût-elle nous perdre tous deux ! etc.
(à Mathilde)
Mais entre nous quelle distance,
Que d'obstacles de toutes parts !

MATHILDE
Ah ! ne perdez pas l'espérance ;
Tout vous élève à mes regards.

ARNOLD
Doux aveu ! ce tendre langage
De plaisir enivre mon cœur.

MATHILDE
Je puis l'aimer, tout me présage
Près de lui des jours de bonheur.
Je le chéris, tout me présage
Près de lui des jours de bonheur.
Oui, je l'aime et tout me présage
Près de lui des jours de bonheur ! etc.

ARNOLD
Doux aveu ! ce tendre langage
De plaisir enivre mon cœur ! etc.
Tout présage ici mon bonheur.
Quels transports pour mon cœur ! etc.

MATHILDE
Retournez aux champs de la gloire,
Volez à de nouveaux exploits.
Retournez aux champs, etc.
On s'ennoblit par la victoire ;
Le monde approuvera mon choix.

ARNOLD
Méritons aux champs de la gloire
Le prix qui m'attend au retour :
Méritons aux champs, etc.
Puis-je douter de la victoire
Lorsque j'obéis à l'amour ?

MATHILDE
On s'ennoblit par la victoire.

ARNOLD
Puis-je douter de la victoire
Lorsque j'obéis à l'amour ? Oui -

MATHILDE
Il est digne de mon amour, oui.
Dans celle qui t'aime,
Oui, c'est l'honneur même
Qui dicte sa loi.
Mathilde, constante,
Ira sous ta tente
Recevoir ta foi. etc.

ARNOLD
Dans celle que j'aime,
Oui, c'est l'honneur même
Qui dicte sa loi.
Mathilde, constante,
Viendra sous ma tente
Recevoir ma foi. etc.
Je retourne aux champs de la gloire...

MATHILDE
Retournez aux champs de la gloire...

ARNOLD
Je vole à de nouveaux exploits.

MATHILDE
Volez à de nouveaux exploits ;
On s'ennoblit par la victoire.

ARNOLD
Puis-je douter de la victoire
Lorsque j'obéis à vos lois ? Oui -

MATHILDE
Le monde approuvera mon choix ! Oui -
Dans celle qui t'aime
Oui, c'est l'honneur même, etc.

ARNOLD
Dans celle que j'aime,
Oui, c'est l'honneur même, etc.

MATHILDE
On vient, séparons-nous.
ARNOLD
Vous reverrai-je encore ?

MATHILDE
Oui, demain.

ARNOLD
Ô bonheur !

MATHILDE
Quand renaîtra l'aurore,
Dans l'antique chapelle, en présence de Dieu,
J'entendrai ton dernier Adieu.

ARNOLD
Ô doux bienfait !

MATHILDE
Je te quitte, on s'avance.

ARNOLD
Ciel ! Walter et Guillaume, oui, fuyez leur
présence !
(Mathilde s'éloigne. Tell et Walter entrent.)

TELL
Tu n'étais pas seul en ces lieux ?

ARNOLD
Eh bien ?

TELL
Nous craignons de troubler un si doux entretien.

ARNOLD
Je ne m'informe pas de vos desseins.

WALTER
Peut-être
Plus qu'un autre dois-tu chercher à les connaître.

TELL
Non...qu'importe à Melchthal s'il déserte
nos rangs,
S'il aspire en secret à servir nos tyrans ?

ARNOLD
Qui te l'a dit ?
TELL
Ton trouble, et Mathilde et sa fuite.

ARNOLD
On m'épie, et c'est toi ?

TELL
Moi-même ; ta conduite
Hier jeta le soupçon dans ce cœur alarmé.

ARNOLD
Mais si j'aime...

WALTER
Grand Dieu !

ARNOLD
...mais si je suis aimé ?
Tes soupçons ?...

TELL
...seraient vrais.

ARNOLD
Mon amour ?

WALTER
Est impie.

ARNOLD
Mathilde ?

TELL
Elle est notre ennemie.

WALTER
Parmi nos oppresseurs elle a reçu la vie.

TELL
Et Melchthal lâchement embrasse ses genoux !

ARNOLD
Mais de quel droit votre aveugle furie ?...

TELL
Nos droits ? un mot te les apprendra tous :
Sais-tu bien ce que c'est que d'aimer sa
patrie ?

ARNOLD
Vous parlez de patrie, il n'en est plus pour nous.
Je quitte ce rivage
Qu'habitent la discorde et la haine et la peur,
Dignes filles de l'esclavage ;
Je cours dans les combats reconquérir l'honneur.

TELL
Quand l'Helvétie est un champ de supplices
Où l'on moissonne ses enfants,
Que de Gessler tes armes soient complices ;
Combats et meurs pour nos tyrans,
Combats et meurs, etc.

ARNOLD
Les camps rappellent mon courage ;
Aux camps règne la loyauté,
Déjà la gloire y marqua mon passage,
Elle remplace aussi la liberté.
Déjà la gloire, etc.

WALTER
Pour nous, Gessler préludant aux batailles,
D'un vieillard a tranché les jours ;
Cette victime attend des funérailles,
Elle a des droits à tes secours.
Va ! cours ! elle a des droits à tes secours ! etc.
D'un vieillard il a tranché les jours,
Il a des droits à tes secours.

ARNOLD
Ah ! quel affreux mystère !
Un vieillard, dites-vous ?

WALTER
Que la Suisse révère.

ARNOLD
Son nom ?

WALTER
Je dois le taire.

TELL
Parler, c'est le frapper au cœur.

ARNOLD
Mon père !...

WALTER
Oui, ton père ! Melchthal, l'honneur de nos hameaux,
Ton père, assassiné par la main des bourreaux !

ARNOLD
Qu'entends-je ! ô crime ! hélas ! hélas ! j'expire !
Ses jours qu'ils ont osé proscrire,
Je ne les ai pas défendus !
Ses jours, etc.
Mon père, tu m'as dû maudire !
De remords mon cœur se déchire !
Ô ciel, ô ciel ! je ne te verrai plus !

TELL
Il frissonne...

WALTER
Il chancelle,
À peine il respire.

TELL
À peine il respire.

ARNOLD
J'expire !

TELL, WALTER
Il pâlit, le remords le déchire,
De l'amour tous les nœuds sont rompus.

ARNOLD
J'expire !

TELL, WALTER
Son effroi remplace son délire,
Son malheur lui rendra ses vertus.
Le remords le déchire,
Il s'émeut au nom de son père,
Son cœur est abattu pour jamais.
Le malheur j'espère lui rendra ses vertus,
etc.

ARNOLD
Mon père, tu m'as dû maudire !
De remords mon cœur se déchire !
O ciel, ô ciel ! je ne te verrai plus ! etc.
Il est donc vrai !

WALTER
J'ai vu le crime.

ARNOLD
Toi ?

WALTER
J'ai vu se débattre et tomber la victime.

ARNOLD
Grand Dieu ! que faire ?

TELL
Ton devoir.

ARNOLD
Il faut mourir ?

TELL
Il faut vivre !

ARNOLD
Eh bien ! contre Gessler servez mon désespoir.
Dans Altdorf voulez-vous me suivre ?

TELL
Modère les transports où ton âme se livre.

WALTER
Reste et venge à la fois ton père
et ton pays.

ARNOLD
Achève donc !

TELL
La nuit, à nos desseins propice,
Nous entoure déjà d'une ombre protectrice.
Tu vas voir dans ces lieux, que Gessler croit soumis,
Surgir de tous côtés de généreux amis :
Ils comprendront tes larmes.
Au soc de la charrue ils empruntent des armes
Pour conquérir un digne sort,
Ou l'indépendance ou la mort !

TOUS LES TROIS
Ou l'indépendance ou la mort !
Embrasons-nous d'un saint délire !
La liberté pour nous conspire ;
Des cieux mon/ton père nous inspire ;
Vengeons-le, ne le pleurons plus. etc.
Pour son pays quand il expire,
Son beau destin semble nous dire :
C'était aux palmes du martyre
À couronner tant de vertus !
C'était aux palmes, etc.
Des cieux mon/ton père, etc.
Embrasons-nous d'un saint délire, etc.
... a couronner tant de vertus.

TELL
Des profondeurs du bois immense
Un bruit confus semble sortir.
Écoutons !

ARNOLD
Écoutons !

TELL
Silence !

WALTER
J'entends de pas nombreux la forêt retentir.

ARNOLD
Le bruit approche...

TELL
Qui s'avance ?

HOMMES D'UNTERWALDEN (de loin)
Amis de la patrie ! amis de la patrie !

TELL
Ô bonheur !

ARNOLD
Ô vengeance !

TELL, ARNOLD, WALTER
Honneur, honneur à leur présence !
HOMMES D'UNTERWALDEN
Nous avons su braver, nous avons su franchir
Les périls comme la distance ; etc.
Les torrents, les forêts n'ont pu nous retenir.
Sous l'escorte de la prudence
Notre audace au Rutli nous a fait parvenir, etc.

TELL
Du canton d'Unterwald, ô vous généreux fils,
Ce noble empressement n'a rien qui nous étonne.

WALTER
On saura l'imiter :
(lointain appel de cor)
de nos frères de Schwyz
J'entends la trompe qui résonne :
De tes enfants sois fier, ô mon pays !
(entrée des hommes de Schwyz)

HOMMES DE SCHWYZ
En ces temps de malheurs,
Une race étrangère
Épiant nos douleurs,
Nous condamne au mystère.
Que ce bois solitaire
Seul connaisse nos pleurs ! etc.

TELL (à Arnold et Walter)
On pardonne la crainte à de si grands malheurs ;
Mais croyez en mon espérance,
Leurs cœurs répondront à nos cœurs.
Honneur à leur présence !

TELL, ARNOLD, WALTER, HOMMES D'UNTERWALDEN
Honneur à leur présence !

WALTER
Du seul canton d'Uri nous regrettons l'absence.

TELL
Pour dérober la trace de leurs pas,
Pour mieux cacher nos saintes trames,

Nos frères, sur les eaux, s'ouvrent avec leurs rames
Un chemin qui ne trahit pas.

WALTER
De prompts effets la promesse est suivie,
N'entends-tu pas ?

TELL
Qui vient ?

HOMMES D'URI (approchant)
Amis de la patrie ! Amis de la patrie !

ARNOLD, TELL, WALTER, HOMMES D'UNTERWALDEN ET DE SCHWYZ
Honneur, honneur aux soutiens de nos droits!

HOMMES D'URI, DE SCHWYZ ET D'UNTERWALDEN
Guillaume, tu le vois,
Trois peuples à ta voix
Sauront, fiers de leurs droits,
Braver un joug infâme.
Parle ! Parle ! et tes fiers accents
Jaillissant de ton âme,
Soudain en traits de flamme
Embraseront nos sens ! etc.
Parle ! Parle !

TELL
(se plaçant au milieu des députés
des Trois Cantons)

L'avalanche roulant du haut de nos montagnes,
Lançant la mort sur nos campagnes,
Renferme dans ses flancs
Des maux moins dévorants
Que n'en sème après lui chaque pas des tyrans.

WALTER
C'est désormais à nous, c'est à notre courage
À purger ce rivage
De maîtres détestés.

HOMMES DE SCHWYZ
De la guerre c'est la menace ;
Malgré nous la terreur nous glace.

WALTER
Où donc est votre antique audace ?
Mille ans nos aïeux indomptés
Ont défendu leurs vieilles libertés ;
Est-ce en vous que s'éteint leur race ?

HOMMES DE SCHWYZ
Malgré nous la terreur nous glace.

TELL
Courbés aux maux que vous avez soufferts,
Si vous ne sentez plus le fardeau de vos fers,
Songez du moins à vos familles ;
Vos pères, vos femmes, vos filles
N'ont plus d'asile en vos foyers.

WALTER
Il n'est plus parmi nous de toits hospitaliers.

TELL
Amis, contre ce joug infâme
En vain l'humanité réclame ;
Nos oppresseurs sont triomphants.
Un esclave n'a point de femme,
Un esclave n'a point d'enfants !

DÉPUTÉS DES TROIS CANTONS
Un esclave n'a point de femme,
Un esclave n'a point d'enfants !
C'est trop souffrir, que faut-il faire ?

ARNOLD
(secouant tout à coup son abattement)
Venger le trépas de mon père !

DÉPUTÉS DES TROIS CANTONS
Melchthal ! quel crime était le sien ?

ARNOLD
Son crime ? Il aimait sa patrie !

DÉPUTÉS DES TROIS CANTONS
Meurtre abominable, impie !

TELL
Soyons digne enfin du sang
dont nous sortons.
Dans l'ombre et le silence,
Du glaive et de la lance
Armez les trois cantons.

DÉPUTÉS DES TROIS CANTONS
Dans l'ombre et le silence,
Du glaive et de la lance
Armez les trois cantons.

TELL
Demain luira pour nous le jour de vengeance,
Nous seconderez-vous ?

DÉPUTÉS DES TROIS CANTONS
N'en doutez pas, oui, tous.

TELL
Prêts à vaincre ?

DÉPUTÉS DES TROIS CANTONS
Oui, tous !

TELL
Prêts à mourir ?

DÉPUTÉS DES TROIS CANTONS
Oui, tous !

TELL
Que de nos mains les loyales étreintes
Confirment ces promesses saintes.
Jurons, jurons par nos dangers...

TOUS LES AUTRES
Jurons, jurons par nos dangers...

TELL
...Par nos malheurs, par nos ancêtres...

TOUS LES AUTRES
...Par nos malheurs, par nos ancêtres...

TELL
...Au Dieu des rois et des bergers...

TOUS LES AUTRES
...Au Dieu des rois et des bergers...

TELL
...De repousser d'injustes maîtres.

TOUS LES AUTRES
...De repousser d'injustes maîtres.
(avec TELL)
Si parmi nous il est des traîtres,
Si parmi nous il est des traîtres,
Que le soleil, de son flambeau,
Refuse à leurs yeux la lumière,
Le ciel, l'accès à leur lumière,
Et la terre, un tombeau !
Jurons, par nos dangers, etc.
Tous nous le jurons, tous nous le jurons !

ARNOLD
Voici le jour !

WALTER
Pour nous c'est un signal d'alarmes.

TELL
De victoire !

WALTER
Quel cri doit y répondre ?

TOUS
Aux armes, aux armes, aux armes !

TROISIÈME ACTE

Première Scène

L'intérieur d'une vieille chapelle en ruines,
attenante au Palais du Gouverneur à Altdorf.


MATHILDE
Arnold, d'où naît ce désespoir ?
Est-ce là cet adieu si tendre
Que j'espérais entendre ?
Vous partez, mais bientôt nous pourrons
nous revoir ?

ARNOLD
Non, je reste où m'enchaîne un terrible devoir ;
Je reste pour venger mon père.

MATHILDE
Qu'espérez-vous ?

ARNOLD
C'est du sang que j'espère.
Je renonce aux faveurs du sort,
Je renonce à tout ce que j'aime,
À la gloire, à vous-même...

MATHILDE
À moi, Melchthal !

ARNOLD
Mon père est mort ;
Il est tombé sous l'homicide glaive.

MATHILDE
Dieu !

ARNOLD
Savez-vous qui dirigea le fer ?

MATHILDE
Ah ! je frémis ! achève !

ARNOLD
Votre effroi l'a nommé : Gessler !

MATHILDE
Gessler !
Pour notre amour plus d'espérance,
Quand ma vie à peine commence,
Pour notre amour, etc.
Pour toujours, pour toujours
je perds le bonheur.
Oui, Melchthal, d'un barbare
Le forfait nous sépare,
Ma raison, qui s'égare,
A compris ta douleur.
Ma raison, etc.
Du sort bravant la servitude,
En vain je t'ai donné ma foi ;
Dans mon cour quelle solitude !
Tu ne seras plus près de moi.
Enfin, pour comble de misère,
Un crime te prive d'un père,
Et je ne puis le pleurer avec toi,
Et je ne puis le pleurer avec toi !
Un crime te prive, etc.
Destin, malgré ta rage,
Toujours ce triste cœur
Conservera l'image
De mon libérateur.
Destin, malgré ta rage, etc.

ARNOLD
Quel bruit arrive à mon oreille ?
Des chants ! Des cris !

MATHILDE
Gessler s'éveille.

ARNOLD
Le jour le rend à ses forfaits.

MATHILDE
Hélas ! d'une fête guerrière
Ces chants annoncent les apprêts.
Du Gouverneur fuis le palais,
Du Gouverneur fuis le palais,
Toujours sa joie est meurtrière ;
Fuis, si jamais, si jamais je te fus chère !

ARNOLD
Moi, fuir ! Moi, fuir !

MATHILDE
Sur la rive étrangère
Si je ne puis à ta misère
Offrir mes soins consolateurs,
Mon âme te suit tout entière,
Elle est fidèle à tes malheurs.
Mon âme te suit, etc.

ARNOLD
Ces chants, ces chants étouffent ta prière,
Leur joie insulte à mes douleurs !
Les entends-tu ? Les entends-tu ?

MATHILDE
Ah ! prends pitié de mes pleurs !
Fuis, si jamais, si jamais je te fus chère !

ARNOLD
Moi, fuir ! Moi, fuir !

MATHILDE
Sur la rive étrangère, etc.
Et songe -

ARNOLD
Je songe à mon père !

MATHILDE
En renonçant à nos amours,
C'est lui donner plus que nos jours,
Adieu, Melchthal ! Adieu, Melchthal ! Adieu,
c'est pour toujours !
Ah songe -

ARNOLD
Je songe à mon père !

MATHILDE
En renonçant à nos amours, etc.
...c'est pour toujours !

ARNOLD
En renonçant à mes amours, etc.
...c'est pour toujours !
En renonçant à mes amours,
C'est lui donner plus que mes jours,
Adieu, Mathilde ! Adieu, c'est pour toujours !

Deuxième Scène

Grande place d'Altdorf, où l'on fait des
préparatifs de fête. On voit çà et là des
pommiers et des tilleuls. Le château fort de
Gessler est au fond. Des ouvriers sont
occupés à élever une estrade où doit se
placer la Cour ; d'autres plantent, vers le fond
du théâtre, un trophée composé des armes
du Gouverneur et surmonté de son chapeau.


CHŒUR DES HOMMES
Gloire au pouvoir suprême !
Gloire au pouvoir suprême !
Gloire !
Crainte à Gessler, qui dispense ses lois !
Crainte !
Oui, oui, c'est l'Empereur même
Qui lance l'anathème
Par sa terrible voix !

Oui, oui, c'est l'Empereur même, etc.
Gloire au pouvoir suprême, etc.

CHŒUR DES FEMMES
Paix au pouvoir qu'on aime !
De Mathilde espérons les lois !
Qu'est-il besoin, qu'est il besoin d'un diadème ?
L'amour est un pouvoir suprême,
Égal à celui des rois.

CHŒUR
Gloire au pouvoir suprême, etc.

GESSLER
Vainement dans son insolence
Le peuple brave ma vengeance,
Il doit se soumettre à ma loi,
Il doit se soumettre à ma loi.
(montrant le trophée)
Devant ce signe de puissance
Que chacun se courbe en silence,
Comme il s'incline devant moi,
Comme il s'incline devant moi !
Que chacun, etc.
(On fait passer les habitants par groupe, et on
les force à s'incliner devant le trophée.)


CHŒUR DES HOMMES
Gloire au pouvoir suprême, etc.

CHŒUR DES FEMMES
Paix au pouvoir qu'on aime, etc.

CHŒUR
Gloire au pouvoir suprême, etc.

GESSLER
(placé sur l'estrade)
Que l'empire germain de votre obéissance
Reçoive le gage aujourd'hui !
Depuis un siècle, sa puissance
Daigne à votre faiblesse accorder un appui.
À pareil jour, nos droits, scellés par la victoire,
S'étendirent sur vos aïeux.
D'un jour si glorieux
Par vos chants, par vos jeux
Célébrez la mémoire,
Je le veux !

(Ici commence la fête. Un des lieutenants de
Gessler fait entrer par la force des Tyroliens et
des Tyroliennes qui dansent au son des voix
seulement.)


TYROLIENNES
Toi que l'oiseau ne suivrait pas,
Sur nos accords règle tes pas !
Dans nos campagnes
Les fils des montagnes
À leurs compagnes
Apprendront tes pas.
Toi que l'oiseau ne suivrait pas,
Sur nos accords règle tes pas !
Toi qui n'es pas
De ces climats,
Vers nos frimas
Tu reviendras.
Dans nos campagnes
Les fils des montagnes
À leurs compagnes
Apprendront tes pas.

TYROLIENS
À nos chants viens mêler tes pas !
Étrangère
Si légère,
Veux-tu plaire ?
Ah ! ne fuis pas.
Fleur nouvelle
Est moins belle
Quand près d'elle
Vont tes pas.
Dans nos campagnes
Les fils des montagnes
À leurs compagnes
Apprendront tes pas.
Fleur nouvelle
Est près d'elle
Pâle et sans appas.
À nos chants viens mêler tes pas !
Étrangère
Si légère, etc.
(Ils dansent.)

TYROLIENNES
Toi que l'oiseau, etc.

TYROLIENS
À nos chants, etc.

(Les soldats de Gessler contraignent des
femmes suisses à danser avec eux, les habitants
témoignent par leurs gestes de leur indignation ;
à la fin de la danse tout le monde se prosterne
devant le trophée. Des soldats entraînent
sur l'avant-scène Tell et son fils, qu'ils ont
remarqués debout au milieu de la scène.)


RODOLPHE
Audacieux, incline-toi !

TELL
Tu peux, t'armant de sa faiblesse,
Avilir ce peuple, mais moi,
Je reconnais point la loi
Qui me prescrit une bassesse.

RODOLPHE
Misérable !

CHŒUR DES HOMMES SUISSES
Ô moment d'effroi !
Pour lui nous avons tout à craindre !

RODOLPHE
Gouverneur, on brave ta loi.

GESSLER
Quel téméraire ose l'enfreindre ?

RODOLPHE
Il est debout devant toi.

TELL
Debout, j'honore la puissance,
Quand d'un honteux servage elle nous affranchit,
Mais de mon front l'indépendance
Devant Dieu seul fléchit.

GESSLER
Traître, obéis ou tremble !
Ma voix et les périls te menacent ensemble ;
Vois ces armes, vois ces soldats.

TELL
J'écoute, je regarde et ne te comprends pas.

GESSLER
L'esclave rebelle à son maître
Ne frémit pas en prévoyant son sort ?

TELL
Serais-je devant toi, si je craignais la mort ?

RODOLPHE
Tant d'audace, Seigneur, me le fait
reconnaître ;
C'est Guillaume Tell, c'est ce traître
Qui ravit à nos coups Leuthold le meurtrier.

GESSLER
Saisissez-le, saisissez-le !

SOLDATS (hésitant)
C'est là cet archer redoutable,
C'est là cet intrépide nautonier.

GESSLER
Point de pitié coupable ;
C'est là mon prisonnier.

TELL
Puisse-t-il être le dernier !
Puisse-t-il être le dernier !

GESSLER
Tant d'orgueil me lasse,
La foudre s'amasse,
Sur toi qu'elle passe
Et tu fléchiras !

RODOLPHE
Quel excès d'audace !
Il brave, il menace,
Allons, point de grâce,
Désarmons son bras.

GESSLER
Quel excès d'audace !
Tant d'orgueil me lasse,
Non, point de grâce,
Désarmons son bras.

TELL
Mortelle disgrâce !
(bas, à son fils)
Espoir de ma race,

Ô toi que j'embrasse,
Porte au loin, porte au loin tes pas !
Espoir de ma race, etc.

GESSLER
Vois, la peur le glace,
Vois, la peur le glace,
Il craint le trépas,
Il craint le trépas, etc.
Oui ! oui !

JEMMY
Que ta peur s'efface,
C'est ici ma place,
Laisse-moi par grâce
Mourir dans tes bras !
Ah ! laisse-moi, etc.

RODOLPHE
Pour lui point de grâce,
Il court au trépas,
Oui ! Oui !

GESSLER
Tant d'orgueil me lasse,
La foudre s'amasse, etc.

TELL
Ô toi que j'embrasse,
Porte au loin tes pas !, etc.

RODOLPHE
Quel excès d'audace !
Il brave, il menace,
Désarmons son bras,
Allons, désarmons son bras, etc.

JEMMY
Que ta peur, que ta peur s'efface,
C'est ici, c'est ici ma place, etc.

SOLDATS
Quel excès d'audace !
Désarmons son bras, etc.
(On retire des mains de Tell son arbalète et son carquois.)

TELL (bas, à Jemmy)
Rejoins ta mère, je l'ordonne,
Qu'aux sommets de nos monts la flamme
brille et donne
Aux trois cantons le signal des combats !

GESSLER (retenant l'enfant)
Arrête, -
(à part)
leur tendresse éclaire ma vengeance -
(à Tell)
Réponds, toi qui m'oses braver,
C'est ton enfant ?

TELL
Le seul.

GESSLER
Tu voudrais le sauver ?

TELL
Le saveur ? lui ? quel est son crime ?

GESSLER
Sa naissance,
Tes discours, tes projets, ta coupable insolence.

TELL
Moi seul je t'ai bravé, c'est moi qu'il faut punir.

GESSLER
Sa grâce est dans tes mains, et tu peux l'obtenir.
Pour un habile archer partout on te renomme.
(à Rodolphe, en détachant une pomme d'un arbre voisin)
Sur la tête du fils qu'on place cette pomme.
(à Tell)
Tu vas d'un trait certain l'enlever à mes yeux ;
Ou vous périrez tous les deux.

TELL
Que dis-tu ?

GESSLER
Je le veux.
TELL
Quel horrible décret ! sur mon fils ! - je m'égare -
Tu pourrais ordonner, barbare !
Non, le crime est trop grand.

GESSLER
Obéis.

TELL
Ah ! tu n'as pas d'enfant !
Il est un Dieu, Gessler !

GESSLER
Un maître.

TELL (montrant le ciel)
Il nous entend !

GESSLER
C'est trop tarder, cède sur l'heure.

TELL
Je ne le puis.

GESSLER
Que son fils meure !

TELL
Arrête ! Abominable loi !
Tu triomphes de ma faiblesse ;
Le péril de Jemmy m'impose une bassesse,
Gessler ; et je fléchis le genou devant toi.
(Il s'agenouille.)

GESSLER
Voilà cet archer redoutable,
Voilà cet intrépide nautonier !
La peur l'atteint, un mot l'accable.

TELL (se relevant)
Ce châtiment du moins est équitable ;
Tu me punis d'avoir pu m'oublier.

JEMMY
Mon père, songe à ton adresse.

TELL
Ah, je crains tout de ma tendresse.

JEMMY
Donne ta main, donne ta main, interroge mon cœur ;
Sous ta flèche il battra sans peur.

TELL
Je te bénis en répandant des larmes,
Et je reprends ma force sur ton sein.
Le calme de ton cœur a raffermi ma main.
Plus de faiblesse, plus d'alarmes ;
Qu'on me rende mes armes :
Je suis Guillaume Tell enfin !
(On rend à Tell son arbalète et son carquois
qu'il vide à terre. Il choisit deux traits et en
cache un sous ses vêtements.)

GESSLER
Qu'on attache l'enfant !
(À ce moment, on voit un des pages de
Mathilde quitter la scène et se diriger, en
courant, vers le château.)


JEMMY
M'attacher ? quelle injure !
Non, non, libre au moins je mourrai.
J'expose au coup fatal ma tête sans
murmure,
Et sans pâlir je l'attendrai.

CHŒUR DES SUISSES
Quoi ! les accents de l'innocence
Ne désarment pas sa vengeance ?

JEMMY
(en voyant son père préparer ses armes)
Courage, mon père !

TELL
À sa voix
Ma main laisse échapper mes armes,
Mes yeux sont obscurcis de dangereuses larmes...
(à Gessler)
Mon fils ! mon fils ! que je l'embrasse une
dernière fois.
(Gessler fait un signe d'acquiescement, et
Jemmy court vers son père.)
(à Jemmy)

Sois immobile, et vers la terre
Incline un genou suppliant.
Invoque Dieu, invoque Dieu, c'est lui seul,
mon enfant,
Qui dans le fils peut épargner le père.
Demeure ainsi, mais regarde les cieux,
Demeure ainsi, mais regarde les cieux.
En menaçant cette tête si chère,
Cette pointe d'acier peut effrayer tes yeux.
Le moindre mouvement, le moindre mouvement...
Jemmy, Jemmy, songe à ta mère !
Elle nous attend tous les deux !
Jemmy, Jemmy, songe à ta mère, etc.
(Jemmy regagne le poteau avec rapidité ; Tell
parcourt d'un œil morne toute l'enceinte.
Lorsque son regard s'arrête sur Gessler, il
porte la main à la place où la seconde flèche
est cachée ; il vise enfin, tire, et soudain la
pomme est loin de l'enfant.)


CHŒUR DES SUISSES
Victoire ! victoire !

JEMMY
Mon père !

CHŒUR DES SUISSES
Sa vie est sauvée !

TELL
Ciel !

GESSLER
Quoi ! la pomme enlevée !

CHŒUR DES SUISSES
La pomme est enlevée,
Guillaume est triomphant !

GESSLER
Ô fureur !

CHŒUR DES SUISSES
Ô bonheur !

GESSLER
Ô fureur !

CHŒUR DES SUISSES
Ô bonheur !
Victoire ! victoire ! victoire !

JEMMY
Ma vie est sauvée :
Mon père pouvait-il immoler son enfant ?

TELL
Je ne vois plus, je me soutiens à peine ;
Est-ce bien toi, mon fils ? Je succombe au bonheur.

JEMMY
(entrouvrant les vêtements de Tell)
Ah ! secourons mon père !

GESSLER
Il échappe à ma haine.
(apercevant la seconde flèche)
Que vois-je ?

TELL
Ah ! j'ai sauvé mon trésor le plus cher !

GESSLER
À qui destinais-tu ce trait ?

TELL
À toi, Gessler !

GESSLER
Tremble !

TELL (embrassant son fils)
Je n'ai plus peur.

GESSLER
Rodolphe, qu'on l'enchaîne !
(Mathilde entre accompagnée de ses femmes et de ses pages.)

MATHILDE
Qu'ai-je appris ? qu'ai je appris ? Sacrifice
affreux !

CHŒUR DES SUISSES
Faut-il encore trembler pour eux ?

CHŒUR DES SOLDATS
Ils doivent périr tous les deux.

GESSLER
Je n'abrégerai point des jours si misérables,
Je l'ai promis ; mais tous deux sont coupables
Et tous deux dans les fers attendront le trépas.

MATHILDE
Quoi ! son fils ? un enfant ! Seigneur,
seigneur, il faut m'entendre.

GESSLER
L'ordre est donné, rien ne peut le suspendre.
Le fils aussi !

MATHILDE
Vous ne l'obtiendrez pas, non, non, non, non.
Au nom du souverain, je le prends sous ma garde.
Au nom du souverain, je le prends sous ma garde.
Quand tout un peuple indigné vous regarde,
Osez, osez l'arracher de mes bras !
Quand tout un peuple, etc.

RODOLPHE
Cédez : Guillaume au moins nous reste.

FEMMES DE MATHILDE
Heureux secours, bonté céleste !

SOLDATS
Cédons, le père au moins nous reste.

CHŒUR DES SUISSES
Ô cher Guillaume, sort funeste !
Des fers puniront ta vertu,
Des fers puniront ta vertu.

RODOLPHE
Ils murmurent, les entends-tu ?

GESSLER
L'audace du captif a passé dans leur haine.
Sur les eaux, cette nuit,
vers Kussnac je l'entraîne.

RODOLPHE
Sur les eaux ! mais les vents, l'orage ?...

GESSLER (montrant Tell)
Vain effroi !
L'habile nautonier n'est-il pas avec moi ?
L'habile nautonier n'est-il pas avec moi ?
Au château-fort que le lac environne,
L'attend, l'attend un supplice nouveau.

CHŒUR DES SUISSES
Grâce ! grâce ! grâce !

GESSLER
Apprenez comment Gessler pardonne :
Aux reptiles je l'abandonne,
Et leur horrible faim lui répond d'un
tombeau.

JEMMY
Ô mon père !

TELL
Ô Jemmy !

CHŒUR DES SUISSES
Grâce ! grâce ! grâce !

GESSLER
Jamais ! non, non, non, jamais !

MATHILDE
Barbare !

GESSLER
Quand l'orgueil les égare,
De leur sang être avare
C'est trahir mon courroux ! etc.

RODOLPHE, SOLDATS
Quand l'orgueil les égare,
De leur sang être avare
C'est te perdre avec nous ! etc.

MATHILDE
C'est sa mort qu'il prépare,
De son fils je m'empare,
Qu'il s'éloigne avec nous ! etc.

JEMMY (à Mathilde)
Quand la loi d'un barbare
De ses bras me sépare,
Je n'espère qu'en vous ! etc.
TELL
Quand ma mort se prépare
Que mon fils, ô barbare !
Se dérobe à tes coups ! etc.

CHŒUR DES SUISSES
C'est sa mort qu'il prépare.
La vertu la plus rare
Va tomber sous ses coups ! etc.

GESSLER
Peuple, qu'on se retire
Ou le coupable expire, ou le coupable expire.
(touchant sa dague)
J'en atteste ce fer !
(À ces mots succède un moment de stupeur
parmi le peuple.)


RODOLPHE (à mi-voix)
Ils gardent le silence.

SOLDATS
Ils gardent le silence.

CHŒUR DES SUISSES
Assurons en silence...

GESSLER, SOLDATS
Ils craignent ma/sa vengeance.

CHŒUR DES SUISSES
...Les coups de la vengeance.

TELL
(d'une voix très forte et secouant ses chaînes)
Anathème à Gessler !

RODOLPHE
Subir tant d'insolence,
Ô tourments de l'enfer,
Ô tourments de l'enfer !

JEMMY ET LE CHŒUR DES SUISSES
(s'agitant et se rapprochant)
Écoutez la sentence : anathème à Gessler !

GESSLER (montrant les Suisses)
Si l'un d'entr'eux s'avance,
(désignant Tell)
Qu'il tombe sous le fer.
MATHILDE
Ah ! fuyons Gessler !

SOLDATS
Vive Gessler !

TELL, CHŒUR DES SUISSES
Anathème à Gessler !

RODOLPHE
Subir tant d'insolence, etc.

JEMMY ET LE CHŒUR DES SUISSES
Écoutez la sentence, etc.

GESSLER
Si l'un d'entre'eux s'avance, etc.

MATHILDE
Ah ! fuyons Gessler !

SOLDATS
Vive Gessler ! Vive Gessler !

MATHILDE, JEMMY, TELL, CHŒUR DES SUISSES
À tant de violence...

RODOLPHE, GESSLER, SOLDATS
Subir tant d'insolence -

MATHILDE, JEMMY, TELL, CHŒUR DES SUISSES
...On répond par du fer.

RODOLPHE, GESSLER, SOLDATS
Ô tourments de l'enfer !

MATHILDE, JEMMY, TELL
Anathème à Gessler ! Anathème à Gessler ! etc.

RODOLPHE
Ô tourments de l'enfer ! ô tourments de l'enfer ! etc.

GESSLER
On connaîtra Gessler, on connaîtra Gessler ! etc.

SOLDATS
Vive, vive, vive Gessler ! etc.

CHŒUR DES SUISSES
(sur la place, sur les toits, sur les arbres)
Anathème à Gessler ! Anathème à Gessler ! etc.
(Gessler, Rodolphe et les soldats s'ouvrent un
chemin à travers la foule, entraînant Tell.
Mathilde emmène Jemmy. Les soldats
chargent la foule qui se disperse dans la plus
grande consternation.)


Appendice

JEMMY (à son père)
Ah ! que ton âme se rassure,
Le ciel, les droits de la nature
Vont lui parler pour nous.
Ah ! que ton âme se rassure, etc.
(à Gessler)
Vois sa douleur, songe à mon âge,
Tu veux contre son fils qu'il dirige ses coups,
Sur un enfant tu fais tomber ta rage ?
Mais dans mon sein il a mis son courage,
Si même au gré de ton courroux
Le trépas devient mon partage,
Va, de sa main il me semblera doux, etc.
(à son père)
Ah ! que ton âme se rassure,
Le ciel, les hommes, la nature ne sont ils
pas pour nous ?, etc.
J'attends l'épreuve avec courage,
Et je l'attends à tes genoux.
Je l'implore, je l'implore avec courage,
Oui, je l'attends à tes genoux.
La mort que j'envisage
Sourit à mon jeune âme,
J'attends l'épreuve avec courage,
Je l'implore, je l'implore à tes genoux.
La mort que j'envisage, etc.
Ah ! que ton âme se rassure, etc.
...je l'implore à tes genoux !

QUATRIÈME ACTE

Première Scène

Habitation du vieux Melchthal

ARNOLD (seul)
Ne m'abandonne pas, espoir de la vengeance !
Guillaume est dans les fers, et mon impatience
Presse le moment des combats.
Dans cette enceinte quel silence !
J'écoute : je n'entends que le bruit de mes pas.
Chassons une terreur secrète !
Entrons !
Devant le seuil, malgré moi je m'arrête ;
Mon père est mort, je n'y rentrerai pas.
Asile héréditaire,
Où mes yeux s'ouvrirent au jour,
Hier encore, ton abri tutélaire
Offrait un père à mon amour.
J'appelle en vain, douleur amère !
J'appelle en vain, douleur amère !
J'appelle, il n'entend plus ma voix !
J'appelle, il n'entend plus ma voix !
Murs chéris qu'habitait mon père,
Je viens vous voir pour la dernière fois !
Je viens vous voir, etc.
Asile héréditaire,
Où mes yeux s'ouvrirent au jour,
Murs chéris qu'habitait mon père,
Je viens vous voir pour la dernière fois !
Je viens vous voir, etc.

CHŒUR DES CONFÉDÉRÉS (au dehors)
Vengeance ! Vengeance !

ARNOLD
Quel espoir...j'entends dés cris d'alarmes.

CONFÉDÉRÉS
Vengeance ! Vengeance !

ARNOLD
Ce sont mes compagnons, je les vois
accourir.

CONFÉDÉRÉS
Guillaume est prisonnier et nous sommes sans armes !
Nous voulons tous le secourir.
Des armes ! des armes ! et nous saurons mourir.
Des armes !

ARNOLD
Dès longtemps, Guillaume et mon père
Ont prévu l'heure des combats :
Sous le rocher, au fond du chalet solitaire,
Courez armer vos bras, courez armer vos bras !

CONFÉDÉRÉS
Courons armer nos bras !
Courons armer nos bras ! Courons !

ARNOLD
Plus de crainte inutile,
Plus d'alarme stérile :
Gessler, tu périras !
Pour toi, qui prives ma tendresse
De mon père et de ma maîtresse,
Est-ce assez que le trépas,
Est-ce assez que le trépas ?

CONFÉDÉRÉS (en rentrant)
Melchthal, que ton espoir renaisse,
Melchthal, que ton espoir renaisse !
Enfin le glaive arme nos bras, etc.
Melchthal, Melchthal -

ARNOLD
Amis, amis, secondez ma vengeance.
Si notre chef est dans les fers,
C'est à nous qu'appartient sa défense ;
D'Altdorf les chemins sont ouverts.
D'Altdorf les chemins sont ouverts.
Suivez moi ! suivez moi !
d'un monstre perfide
Trompons l'espérance homicide,
Trompons l'espérance homicide ;
Arrachons Guillaume à ses coups !
Arrachons Guillaume à ses coups !

CONFÉDÉRÉS
D'un tyran cruel et perfide,
Trompons l'espérance homicide !

ARNOLD
Aux combats !

CONFÉDÉRÉS
Cette tâche est digne de nous !
Cette tâche est digne de nous !

ARNOLD
Aux combats !

CONFÉDÉRÉS
Trompons l'espérance homicide,
Cette tâche est digne de nous.
Suivons-le, aux combats,
Suivons-le, aux combats.

ARNOLD
Suivez-moi, sur mes pas,
Aux combats, ou victoire ou trépas !

CONFÉDÉRÉS
Melchthal ! Melchthal !

ARNOLD
Amis, amis, secondez ma vengeance,
Si notre chef est dans les fers,
C'est à nous qu'appartient sa défense !
D'Altdorf les chemins sont ouverts,
D'Altdorf les chemins sont ouverts,
Suivez-moi.

CONFÉDÉRÉS
D'Altdorf les chemins sont ouverts,
Suivons-le...

ARNOLD
Suivez-moi !

CONFÉDÉRÉS
Suivons-le !

ARNOLD
D'un monstre perfide
Trompons l'espérance homicide,
Arrachons Guillaume à ses coups ! etc.

CONFÉDÉRÉS
D'un tyran cruel et perfide
Trompons l'espérance homicide,
Cette tâche est digne de nous ! etc.

ARNOLD
Sur mes pas...
CONFÉDÉRÉS
Sur ses pas...

ARNOLD
...Aux combats...

CONFÉDÉRÉS
...Aux combats...

ARNOLD
...Ou victoire...

CONFÉDÉRÉS
...Ou victoire...

ARNOLD
...Ou trépas !

CONFÉDÉRÉS
...Ou trépas !

ARNOLD
Trompons l'espérance homicide,
Arrachons Guillaume à ses coups ! etc.

CONFÉDÉRÉS
Oui, cette tâche est digne de nous !
Oui, d'un tyran cruel et perfide
Trompons l'espérance homicide,
Cette tâche est digne de nous ! etc.

ARNOLD
Sur mes pas...

CONFÉDÉRÉS
Sur ses pas...

ARNOLD
...Aux combats...

CONFÉDÉRÉS
...Aux combats...

ARNOLD
...Ou victoire...

CONFÉDÉRÉS
...Ou victoire...

ARNOLD
...Ou trépas !
CONFÉDÉRÉS
...Ou trépas !

ARNOLD
Trompons l'espérance homicide,
Arrachons, arrachons Guillaume à ses coups!
Aux armes ! aux armes ! aux armes !

CONFÉDÉRÉS
Oui, cette tâche est digne de nous,
Cette tâche est digne de nous ! etc.

Deuxième Scène

Vue de rocher situé au pied de l'Achsenberg ;
il est baigné par le Lac de Lucerne. Des
nuages épais, précurseurs de la tempête,
bornent l'horizon. On découvre pourtant sur
une haute éminence la maison de Tell. Dans
cette enceinte, hérissée décueils, les flots se
brisent avec furie.


CHŒUR DES FEMMES SUISSES
Où vas-tu ? Ta douleur t'égare,
N'entends-tu pas nos ennemis ?

HEDWIGE
Je veux voir Gessler ; je les suis.

FEMMES SUISSES
Et qu'obtiendras-tu du barbare ?
La mort, la mort !

HEDWIGE
Je la désire, je la désire.
Il triomphe, et je vis,
quand je n'ai plus d'époux,
Quand je n'ai plus de fils !

JEMMY
Ma mère !

HEDWIGE
On parle -
(Mathilde entre suivie de ses pages et de Jemmy.)
- cette voix douce et tendre -

JEMMY
Ma mère !

HEDWIGE
Je crois l'entendre !

C'est mon enfant ! c'est mon enfant !
Ô bonheur !
Ô bonheur !

JEMMY
Ô bonheur !

HEDWIGE
Mais hélas ! ton père ne suit point tes pas.

JEMMY
À son indigne chaîne il saura se soustraire :
(montrant Mathilde)
De Mathilde espérons le secours tutélaire.

HEDWIGE
Ô protectrice auguste et chère,
Sur mon époux tu veilleras !

MATHILDE
Je rends à votre amour un fils digne de vous.
Ce fils, malgré son âge,
Est grand par son courage ;
Et quand ma voix présage
Un terme à vos douleurs,
Ce n'est qu'un juste hommage
Offert à vos malheurs,
Offert à vos malheurs.

JEMMY
Mathilde à nos chalets...

MATHILDE
Je rends à votre amour..

JEMMY
...promet des jours plus doux.

MATHILDE
...un fils digne de vous.

JEMMY
Du ciel, après l'orage,
Elle est pour nous l'image ;
Et quand sa voix présage
Un terme à nos douleurs,
L'espoir prend son langage
Et vient sécher nos pleurs.
Mathilde à nos chalets
Promet des jours plus doux, etc.
MATHILDE
Ce fils, ce fils malgré son âge
Est grand par son courage,
Ce n'est pas qu'un hommage, etc.

HEDWIGE
Mathilde à nos chalets
Promet des jours plus doux, etc.
Quoi ! dans nos maux acceptant un partage,
Vous demeurez sur ce triste rivage,
Vous, l'ornement, vous, l'orgueil d'une cour ?

MATHILDE
De Guillaume captif je veux être l'otage,
Et ma présence ici répond de son retour.

HEDWIGE
Son retour ! n'est-ce point une espérance vaine ?
D'Altdorf que ne l'arrachons-nous ?

JEMMY
Il n'est plus dans Altdorf.

MATHILDE
Sur le lac on l'entraîne.

HEDWIGE
Sur le lac ? et déjà l'ouragan se déchaîne ;
Partout la mort pour mon époux !

JEMMY
(se remémorant soudain les paroles de son père)
Quel souvenir m'éclaire !
Réparons un oubli fatal ;
Que de la liberté brille enfin le signal !
(Il va pour partir.)

HEDWIGE
Qu'espères-tu ?

JEMMY
Sauver mon père.
(à part, à sa mère)
Tout un peuple se lève à ce feu tutélaire ;
Et quels que soient les bords où Gessler
descendra,
La vengeance l'y recevra !

(Jemmy court mettre le feu à la demeure de
Tell, et en retire les armes de son père. La
tempête se déchaîne dans toute sa force.)


MATHILDE
Quel bruit éclate sur nos têtes ?

HEDWIGE
C'est la mort qui s'avance à la voix des
tempêtes ;
Guillaume périra !...
(Elle s'agenouille.)
Toi, qui du faible es l'espérance,
Sauve Guillaume, ô Providence !
Dans leurs projets, dans leur vengeance,
Trompe et confonds nos ennemis.
Brise le joug qui nous opprime ;
Dans l'oppresseur punis le crime,
Sauve Guillaume ! Il meurt victime
De son amour pour son pays.

MATHILDE
Sauve Guillaume ! Il meurt victime
De son amour pour son pays,
Oui, pour son pays !

MATHILDE, HEDWIGE, SUISSES
Sauve Guillaume ! il meurt victime, etc.
(Leuthold entre.)


LEUTHOLD
Suivez-moi ! suivez-moi ! Guillaume sur ces rives
Par la tempête est rejeté.
Ses mains cessent d'être captives ;
Le gouvernail cède à sa volonté.

HEDWIGE
Si Guillaume, malgré l'orage,
Peut approcher de ce rivage,
Je réponds de sa liberté.

MATHILDE
Courons à lui ! Courons à lui !

HEDWIGE, LEUTHOLD
Courons à lui !
(Ils s'élancent en direction de la berge. La
tempête fait rage. La barque menant Gessler
et les soldats effrayés, avec Tell au gouvernail,
s'échoue. Il saute sur le rivage et repousse la
barque du pied, au milieu des vagues.)

HEDWIGE
Je te revois !

JEMMY
Mon père !

HEDWIGE
Ô retour plein de charmes !

TELL (montrant la maison qui brûle)
Quelle flamme brille à mes yeux ?

JEMMY
Au défaut d'un bûcher d'alarmes,
Moi-même j'embrasai le toit de nos aïeux.
Mais du moins -
(lui tendant ses armes)
j'ai sauvé tes armes !

TELL
(saisissant l'arc et la flèche qu'on lui présente)
Gessler, tu peux venir !
(Gessler et les soldats apparaissent en haut des rochers.)

SOLDATS
En vain il veut nous fuir :
Suivons, suivons sa trace.

GESSLER
Qu'il ne trouve sa grâce
Que dans le coup mortel,
Qu'il ne trouve sa grâce
Que dans le coup mortel !

SOLDATS
Qu'il ne trouve sa grâce
Que dans le coup mortel !

HEDWIGE
C'est lui !

JEMMY, HEDWIGE, DES FEMMES
C'est lui !

TELL (à sa femme et son fils)
Retirez-vous : que la Suisse respire !
(tirant une flèche)
À toi, Gessler !
(Gessler, frappé, en haut du rocher)
GESSLER
J'expire !
(Il tombe dans le lac.)

SOLDATS (s'enfuyant)
C'est la flèche de Tell !

HEDWIGE
Ô jour de délivrance !
Sa mort termine enfin nos maux.

JEMMY
Sa mort termine enfin nos maux.

TELL
De Dieu reconnais l'assistance.

MATHILDE
Rien n'a pu le soustraire au trait de la
vengeance ;
Ses richesses ni sa puissance,
Ses supplices ni ses bourreaux.
(Walter et les Confédérés entrent.)

WALTER
À ces signaux de flamme enfin cessons de craindre ;
Il faut du sang pour les éteindre,
Il faut le sang de l'oppresseur.
Mais, que vois-je ? Guillaume ! il est libre, ô bonheur !
Volons vers le tyran !

TELL
Que veux-tu ?

WALTER
Qu'il succombe !

TELL
Dans le lac va chercher sa tombe.
(Mathilde entre à cette réponse de Tell.)

JEMMY, HEDWIGE
Honneur, honneur au bras libérateur,
Honneur, honneur au bras libérateur !

MATHILDE, WALTER, CONFÉDÉRÉS, TOUS
Honneur, honneur au bras libérateur !

TELL
Point de vaine espérance,
Tant que d'Altdorf les créneaux orgueilleux
Commanderont à notre obéissance.
(Arnold et le reste des Confédérés entrent.)

ARNOLD
(présentant à Tell le drapeau qui flottait au
troisième acte sur le château d'Altdorf.)

Tu n'as plus à former de vœux,
Altdorf est en notre puissance !

TOUS
Victoire ! victoire !
Altdorf est en notre puissance !

ARNOLD
Pourquoi ta présence, ô mon père !
Manque-t-elle au bonheur de l'Helvétie entière ?
(L'orage entièrement dissipé, laisse voir, dans
toute sa beauté, un partie de la Suisse. Une
multitude de barques pavoisées voguent sur
le Lac des Quatre-Cantons. Les montagnes
qui dominent Fluelen, encore surmontées par
de grands glaciers frappés des rayons du
soleil, couronnent le tableau.)


TELL
Tout change et grandit en ces lieux !
Quel air pur !

HEDWIGE
Quel jour radieux !

JEMMY
Au loin quel horizon immense !

ARNOLD
Oui, la nature sous nos yeux
Déroule sa magnificence !

TELL
À nos accents religieux,
Liberté, redescends des cieux,
Et que ton règne recommence !
Liberté, redescends des cieux !

TOUS
Et que ton règne recommence,
Liberté, redescends des cieux ! etc.

FIN DE L'OPÉRA
libretto by Étienne de Jouy, Hippolyte Bis 

 

© DM's opera site