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Die Walküre” by Richard Wagner libretto (French)

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Contents: Personnages; Acte Premier; Acte Deuxième; Acte Troisième
ACTE PREMIER

L’intérieur d’une habitation.
Au milieu s’élève le tronc d’un frêne puissant, dont les racines fortement saillantes vont se perdre au loin dans le sol ; un toit de charpente divise la hauteur de l’arbre, séparant la cime du tronc ; ce tronc et les branches qu’il étend traversent le toit en des ouvertures qui leur correspondent exactement ; on devine la cime feuillue de l’arbre, élargie au-dessus du toit. Autour de la souche du frêne, qui en marque le centre, une salle d’habitation est construite ; les murailles sont faites d’ais grossièrement équarris, que recouvrent de-ci de-là des pièces d’étoffe tissée. À droite, vers le devant de la scène est placé le foyer, dont la cheminée monte vers le toit, sur le côté. Derrière le foyer se trouve une pièce analogue à une réserve aux provisions ; quelques marches de bois y donnent accès ; un rideau d’étoffe, fermé à demi, et suspendu à l’entrée. Au fond de la scène, la porte d’entrée de l’habitation, avec un léger loquet de bois. À gauche de cette porte, on va vers une pièce intérieure, à laquelle des degrés de bois conduisent également ; du même côté, beaucoup plus en avant, une table avec un large banc qui tient à la muraille, et devant la table des escabeaux de bois. Un court prélude orchestral de mouvement véhément et tempétueux sert d’introduction. Au moment où le rideau s’écarte, Siegmund ouvre de l’extérieur, en hâte, la porte de l’habitation, et entre. C’est le soir ; violent orage, qui commence à se calmer. - Siegmund s’arrête un instant, la main sur le loquet, et explore du regard l’intérieur de l’habitation : il semble épuisé par un effort extrême ; ses vêtements et son aspect montrent que c’est un fugitif. Comme il ne voit personne, il ferme la porte derrière lui, va vers le foyer, et là se jette accablé sur une couverture de peau d’ours.

SCÈNE PREMIÈRE

SIEGMUND
Ce seuil, quel qu’il soit
Là... je m’arrête...
(Il s’affaisse à la renverse et reste quelque temps étendu sans mouvement. Sieglinde sort de la pièce intérieure. Ayant perçu du bruit, elle avait cru que son époux était rentré : son visage triste s’empreint d’étonnement lorsqu’elle voit un étranger étendu près du foyer.)

SIEGLINDE
(encore au fond de la scène)
Un homme ici !
Je veux apprendre...

(Elle fait avec calme quelques pas vers lui.)

Qui vint ici
Et gît près du feu ?

(Comme Siegmund ne bouge point, elle s’approche encore de lui et l’examine.)

Longue route
A lassé son corps :
A-t-il perdu les sens ?
Est-il mourant ?

(Elle se penche davantage sur lui.)

Son souffle m’effleure ;
Il clôt les paupières...
Fier semble l’inconnu,
Bien qu’il cède au mal.

SIEGMUND
(levant soudainement la tête)
Une source !
Une source !

SIEGLINDE
Cherchons l’eau fraîche !
(Elle prend rapidement une corne à boire,
sort de la maison, revient avec cette corne
remplie d’eau, et la tend à Siegmund.)


J’offre à boire
à tes lèvres brûlantes :
L’onde – que tu voulais !

(Siegmund boit, et lui rend la corne. Après qu’il l’a remerciée d’un signe de tête, il fixe son regard sur le visage de Sieglinde, avec une longue et croissante sympathie.)

SIEGMUND
L’eau de la source
M’a rafraîchi,
Mon lourd fardeau
S’est allégé ;
Mon cœur est moins las,
Mes yeux soudain
Rouverts regardent ravis :
Qui vient m’assister ?

SIEGLINDE
Du lieu, de la femme,
Le maître est Hunding ;
Sois son hôte, ce soir :
Reste, il va rentrer.

SIEGMUND
Seul et sans armes,
D’un tel blessé
Ton époux n’aura crainte.

SIEGLINDE
(inquiète)
Blessé – oh ! montre-moi vite !

SIEGMUND
(se secoue et se lève brusquement de sa couche jusqu’à la position assise)

Le mal cède,
C’est trop d’en parler !
Mes membres demeurent
Fermes encore.
Si ma lance comme mon bras
Eût gardé sa puissance,
Je n’aurais jamais fui :
Mais ma lance tomba rompue...
L’hostile meute
M’a poursuivi,
L’orage aux feux lourds
M’a brisé ;
Mais comme j’ai fui la meute,
Toute peine m’a fui :
L’ombre couvrait ma paupière,
Le jour me rit de nouveau.

SIEGLINDE
(a rempli d’hydromel
une corne à boire,
et la lui présente)


Que cet hydromel
Au flot mousseux
Soit accepté de toi...

SIEGMUND
Goûte-le tout d’abord ?
(Sieglinde effleure le breuvage de ses lèvres, et le présente de nouveau à Siegmund ; celui-ci en boit une longue gorgée : puis il l’éloigne vivement de sa bouche et rend à Sieglinde la corne à boire. Tous les deux se regardent, avec une émotion de plus en plus forte, et demeurent un moment sans parler.)

SIEGMUND
(d’une voix tremblante)

De mon sort triste tu prends pitié :
Sois gardée
De semblables maux !

(Il se lève rapidement pour partir.)
J’ai pris haleine
Et doux repos :
Loin d’ici je m’en vais !

SIEGLINDE
(se tournant vivement vers lui)
Qui te presse, pour fuir déjà ?

SIEGMUND
(se retourne de son côté)

Malheur me presse
Où je me hâte :
Malheur m’approche
Où je m’arrête ;
Ö femme, vis loin de lui !
Je tourne ailleurs mes pas !

(Il marche rapidement vers la porte,
et en soulève le loquet.)


SIEGLINDE
(le rappelant, en un violent oubli d’elle-même)

Demeure alors !
Quels maux me peux-tu porter !...
Malheur habite ici !

SIEGMUND
(demeure immobile profondément saisi)

Wehwalt, c’est mon surnom ;
Hunding... je vais l’attendre.

(Sieglinde demeure silencieuse ; soudain elle fait un brusque mouvement, écoute, et entend venir Hunding, qui, au-dehors, mène son cheval à l’écurie ; elle va en toute hâte vers la porte et l’ouvre.)

SCÈNE 2

Hunding, armé du bouclier et de la lance, entre dans l’habitation ; il s’arrête un instant sur le seuil, ayant aperçu Siegmund.

SIEGLINDE
(répondant au regard gravement
interrogateur que Hunding fixe sur elle)

Pâle ici
Je l’ai trouvé,
Faible et défaillant...

HUNDING
Tu l’as fait boire ?

SIEGLINDE
En hôte il fut reçu.
J’ai calmé sa soif.

SIEGMUND
(observant Hunding avec calme et fermeté)
Son accueil,
Son secours,
Lui vaudront-ils reproche ?

HUNDING
Saint est mon foyer :
Saint te soit mon logis !

(À Sieglinde, tandis qu’il
se débarrasse de ses armes et
les lui confie.)


Donne aux hommes leurs mets !
(Sieglinde suspend les armes au tronc du frêne, va chercher les aliments et le breuvage dans la réserve aux provisions et prépare la table pour le repas du soir.)

HUNDING
(examine d’un regard perçant, avec surprise,
les traits de Siegmund, et les compare à ceux de sa femme ;
il se parle à lui-même)


Qu’il ressemble à la femme !
La même clarté
Dore aussi sa prunelle.

(Il dissimule son étonnement et
se tourne avec tranquillité vers Siegmund.)


Long sans doute
Fut ton chemin ;
Mais nul cheval
Ne t’a porté :
Quels durs sentiers
T’ont fait défaillir ?

SIEGMUND
Par bois et plaine, :
Lande et hallier,
J’ai dans l’orage
Fui la mort :
J’ignore la voie où j’allais ;
Où je m’égare,
Je ne m’en doute :
Fais que je sache où je suis.

HUNDING
(invitant Siegmund à s’asseoir à la table)
Mon toit t’abrite,
Mon seuil t’accueille,
Hunding t’a reçu ;
Si tu tournais
Vers l’Ouest tes pas,
Dans tout le clan
Maints vassaux veillent,
Pour Hunding prêts à combattre
Si mon hôte m’honore,
Que son nom me soit révélé.

(Siegmund regarde pensif devant lui. Sieglinde s’est assise près de Hunding, en face de Siegmund, sur lequel ses yeux s’attachent avec une attention et une sympathie intenses.)

Si pour moi
Tu n’aimes parler,
À celle-ci fais réponse :
Vois ses yeux fixés sur toi !

SIEGLINDE
(d’une voix paisible mais empreinte de sympathie)

Hôte, qui tu es
Dis-le-moi.

SIEGMUND
(lève la tête, fixe ses yeux sur ceux de Sieglinde,
et commence d’un ton grave)


Friedmund je ne puis être ;
Frohwalt nom qui m’eût plu :
Mais Wehwalt, c’est le nom juste !
Loup, ce fut là mon père ;
À deux nous vînmes au jour,
Une sœur jumelle et moi.
Tôt j’ai perdu
Mère et sœur ;
Qui m’enfanta,
Qui naquit avec moi,
À peine mon cœur les connut.
Loup était fort et brave ;
Il eut beaucoup d’ennemis.
En chasse allaient
Le vieux Loup et le jeune :
Un jour tous les deux
Rentraient du combat...
Le gîte était désert ;
En feu, en cendre
Tout le logis,
Brûlé le chêne
Au tronc florissant ;
Tuée la mère
Au corps valeureux,
Détruit tout vestige
De l’autre enfant :
Détresse qui nous vint
Des Neindinge, peuple noir !
Traqué, le vieux
S’enfuit avec moi ;
Bien des ans
Le jeune vécut
Près de lui au profond des bois :
Mainte chasse
Les a pressés ;
Mais forts et fiers
Les deux Loups luttaient.

(Se tournant vers Hunding.)

Un fils de Loup te l’apprend,
Que pour Loup plus d’un connaît bien !

HUNDING
Rare et farouche histoire
Sonne en ton fier récit,
Wechwalt... le fils du Loup !
Je crois, de ce souple guerrier,
Savoir de sombres contes,
Sans avoir vu
L’un ni l’autre Loup.

SIEGLINDE
Raconte encore, hôte :
Où donc ton père est-il ?

SIEGMUND
En chasse contre nous deux
Vinrent les Neidinge noirs :
Plus d’un chasseur
Tomba sous nos griffes ;
Plus d’un fut traqué
Par son gibier :
Les Loups les ont dispersés.
Mais loin de mon père jeté,
J’ai perdu sa trace
Malgré ma recherche :
Une peau de loup seule
Gît dans le bois :
Vide je la trouve...
Le père... n’est plus là.
Des forêts je m’éloignai,
Poussé vers les hommes, les femmes :
J’allai chez tous,
En tout endroit,
Cherchant l’ami,
L’amante aussi,
Mais partout, tous me repoussent...
Malheur est sur moi.
Le bien selon mon cœur
Est le mal pour autrui ;
Les actes que je hais,
D’autres les jugent bons,
Partout je tombe
Dans les embûches ;
Haine s’attache à mes pas ;
Rêve d’ivresse,
Œuvre de maux !
Aussi dois-je Wehwalt être ;
La peine seule est mon fait !

HUNDING
D’un si triste sort te frappant,
La Norne t’aime peu ;
Sans plaisir je reçois
Un hôte ainsi traité.

SIEGLINDE
Les lâches seuls craignent l’homme
Sans défense et sans ami !
Hôte, parle,
En quel combat
Ton bras fut-il désarmé ?

SIEGMUND
(avec une vivacité croissante)

Une enfant en péril
M’a fait appel ;
Son clan voulait
La donner pour femme
À un homme contre son gré.
J’ai provoqué
Ses oppresseurs,
Je les bravai
Tous au combat :
Mon bras les a vaincus.
La fille voit tomber ses frères :
Des bras elle enlace leurs corps ;
Sa haine cède au chagrin.
Les yeux brûlés de pleurs,
Elle reste au champ du combat,
Sur ses frères frappés jetant
Des cris de sauvage douleur.
Les amis des victimes
Vinrent armés,
Pleins de rage,
Prêts aux vengeances...
Tout à l’entour
Grondait leur cohorte.
Près de ses morts
L’enfant resta :
Le fer au poing,
Longtemps je l’abritai,
Mais dans ma main
L’épieu fut brisé...
Seul, blessé et sans armes,
Je vis la fille périr :
Les autres sur moi s’acharnaient...
Sur les cadavres elle mourut.

(Avec un regard plein de flamme douloureuse sur Sieglinde.)
Tu vois, ô femme, pourquoi
Je n’ai pas Friedmund pour titre !
(Il se lève et marche vers le foyer. Sieglinde, pâte et profondément saisie, fixe ses regards sur le sol.)

HUNDING
(très sombre)
Je sais une fauve lignée
Bravant ce qui semble
Aux autres saints :
Haïe de tous et de moi !
Parti pour la vengeance,
Celle qu’exige
Le sang des miens,
Trop tard j’arrive
Et rentre à présent,
Pour voir l’infâme ici,
Souillant ma propre maison.
Mon toit garde,
Loup, ton sommeil ;
Pour la nuit je t’ai reçu :
Demain pourtant
Trouve une arme solide ;
Soit prêt dès l’aube au combat :
Des morts d’hier paye-moi le sang !
(À Sieglinde, qui, avec des gestes inquiets, s’est avancée entre les deux hommes.)

Hors de ce lieu !
Sors à l’instant !
Emplis la coupe du soir,
Et va m’attendre au lit !

(Sieglinde, qui parait réfléchir, prend sur la table une corne à boire et va vers une sorte de huche fermée, où elle prend des racines, et se dirige vers la chambre intérieure de côté. Puis, sur le degré te plus élevé, près de la porte de cette chambre, elle se retourne une fois encore, et fixe sur Siegmund – qui, debout près du foyer, contenant son courroux, est demeuré calme et ne la quitte point des yeux — un long regard plein d’aspiration émue, qui finalement indique à Siegmund, d’une manière significative, un certain point sur le tronc du frêne. Hunding, qui remarque ses lenteurs, la contraint à sortir par un signe impérieux ; elle disparaît alors par la porte de la chambre intérieure, emportant la corne à boire et le flambeau. Hunding enlevant ses armes du tronc du frêne.)

Un homme doit être armé.
Toi, Loup, demain je te frappe :
Ma voix parle clair
Garde-toi bien.
(Il entre armé dans la chambre intérieure.)

SCÈNE 3

Siegmund seul.
La nuit est devenue complète ;
la salle n ’est plus éclairée
que par le feu presque éteint du foyer.
Siegmund se laisse tomber, près de ce foyer,
sur la couche de repos, et songe quelque temps
en silence, en proie à un trouble violent.


SIEGMUND
Le fer promis par mon père
Pour vaincre au péril pressant !...
Sans épée
Chez l’ennemi je tombe : —
Sa vengeance en gage
Me tient là !
Tu vins, femme,
Douce et sacrée...
Suave angoisse,
Trouble ardent !
Je sens un désir vers elle,
Et son charme enflamme mon cœur,
Un maître ici la contraint,
Raillant l’homme sans armes !...
Wälse ! Wälse !
Où ton épée ?
La forte épée,
Que mon poing brandisse,
Quand se déchaîne à la fin
La rage en mon cœur cachée ?

(Le brasier demi-consumé s’écroule ; un grand éclat en jaillit parmi les étincelles ; il illumine le point que le regard de Sieglinde avait désigné sur le tronc du frêne, et où maintenant l’on voit fixée la poignée d’un glaive.)

Quel vif reflet
Reluit là-bas ?
Quel rayon sort
De ce frêne obscur ?
À l’œil aveugle
Brille un éclair,
Gai sourire aux regards !
Que ce pur éclat
Me brûle au cœur !
Est-ce un regard
De femme en fleur,
Qu’elle aurait
Après elle laissé,
À son départ d’ici ?

(À partir de ce moment la lueur du foyer décroît peu à peu.)

L’ombre des nuits
Pesait sur mes yeux ;
Le rayon des siens
M’a rencontré,
Chaude lumière du jour.
Doux était
Le soleil de feu ;
Mon front se dora
De sa chère clarté,
Jusqu’à sa chute aux monts noirs.

L’adieu de son regard
Vint au soir m’éclairer ;
Même au tronc du frêne ancien
Jaillit une flamme d’or :
La fleur se fane,
Le feu s’éteint,
L’ombre froide
Clôt ma paupière :
Tout au profond du cœur
Un feu sans clarté couve encor.

(Le feu s’éteint. Nuit complète. – La porte de la chambre de côté s’ouvre sans bruit : Sieglinde, en vêtements blancs, sort de cette chambre, et se dirige vers Siegmund.)

SIEGLINDE
Veilles-tu ?

SIEGMUND
(bondissant debout dans un transport de joie)

Qui vient ici ?

SIEGLINDE
(avec hâte et mystère)

C’est moi : écoute bien !
Un lourd repos tient Hunding ;
Ma main lui versa le sommeil.
Grâce à la nuit, tu es sauf !

SIEGMUND
(l’interrompant avec feu)

Sauf par ta venue !

SIEGLINDE
Que d’une arme ici je t’instruise !
Ah ! si tu peux l’avoir !
Plus grand que tous
Alors je te nomme :
Au fort entre tous
L’arme appartient.

Écoute bien ce que j’annonce !
Le clan farouche
Ici réuni
Fêtait l’odieux mariage :
De force à l’époux
J’étais vendue,
Proie que livraient des bandits.
Triste et seule,
Loin de la table,
Je vis entrer un vieillard :
Un homme aux sombres habits ;
Son large chapeau
Cachait l’un des yeux dans l’ombre ;
Mais l’autre œil brillait,
Plein de menace,
Sur les hommes
Saisis d’effroi :
Seule en moi
L’œil du vieillard
Émut tendre tourment,
– Larmes – espoir aussi.
Pour moi tendre,
Pour eux redoutable,
Dans sa main il lève une épée ;
L’enfonce enfin
Dans le bois du frêne :
Tout entière il l’y plongea :
Qui veut posséder le glaive
Doit l’arracher du tronc.
Aucun convive,
Malgré sa vaillance,
Du fer ne peut s’emparer ;
D’autres vinrent
Et d’autres passèrent,
Et tous tentèrent l’exploit ;
Mais le frêne à nul n’a cédé :
Là dort, muette l’épée.
Alors, j’ai su par qui
Ma douleur fut salué :
Mon cœur sait
Pour qui seul
Le fer au frêne est planté.
Puissé-je le trouver,
Ici, l’ami !
S’il accourait
Vers la pauvre femme !
Payant mes souffrances,
L’atroce tourment,
Mes peines passées.
La honte et l’affront,
Douce vengeance,
Lave l’outrage !
J’aurai tous
Mes bonheurs disparus,
Mes joies tant pleurées
Sont reconquises,
Si j’ai l’ami sacré,
S’il vient vainqueur dans mes bras !

SIEGMUND
(l’enlaçant avec une passion enflammée)

Toi, femme adorée,
Sois à l’ami,
Que l’arme et l’amante attendent !
Rouge en mon sein,
Brûle un sarment,
Par qui nos cœurs sont liés.
Mes vœux de jadis
Revivent en toi ;
En toi régnent
Mes rêves perdus !
Si tu pleuras,
Je n’ai pas moins souffert ;
Ceux qui m’insultent
Ont pris ton honneur :
Folle vengeance,
Rit à nos fêtes !
Viens ! tout rit
Et chante avec moi !
Puisqu’en mes bras je t’ai saisie,
Sens mon cœur battre sur ton cœur !

SIEGLINDE
(Sieglinde tressaille effrayée et s’arrache des bras de Siegmund)

Ha ! qui sort ? qui entre ici ?
(La porte du fond s’est ouverte brusquement et demeure toute béante ; au-dehors, nuit splendide de printemps ; les rayons de la pleine lune pénètrent dans la salle et éclairent vivement le couple, qui apparaît ainsi soudain tout baigné de lumière.)

SIEGMUND
(dans une douce extase)
Nul ne sort...
Quelqu’un entre :
Vois, le printemps
Rit dans la salle !

(Il l’entraîne avec une tendre insistance vers la couche de repos, où elle s’assied auprès de lui.)

L’âpre hiver a fui
Le printemps vainqueur,
D’un doux éclat
Rayonne l’Avril ;
Dans l’air limpide,
Vol suave,
Ses prodiges
Sont bercés ;
Aux bois, aux plaines,
Vont ses souffles,
Larges ouverts
Son œil sourit :
Des chants d’oiseaux résonnent
Frais et purs,
L’air exhale
Un doux parfum ;
De son sang brûlant jaillissent
Des fleurs joyeuses,
Germe et tige
Éclatent du sol.
Le charme fort d’Avril
Soumet l’univers ;
Vents et frimas, tout
Reconnaît son pouvoir :
Son souffle vaillant renverse
A la fin la porte orgueilleuse
Qui nous retenait,
Nous – loin de lui ! –
Jusqu’à sa sœur
Son vol a volé ;
L’Amour attire l’Avril ;
Au fond des cœurs
L’Amour se cachait ;
Heureuse elle rit vers le jour.
La sœur fiancée
Est sauvée par son frère ;
L’obstacle ancien
S’écroule en débris ;
Couple joyeux,
Ils se sont reconnus :
Unie est l’Amour à l’Avril !

SIEGLINDE
C’est toi l’Avril
Rêvé par mon âme,
Aux mois désolés d’hiver :
Mon cœur t’accueillit
D’augustes frissons,
Quand tes yeux vers moi fleurirent.
Tout pour moi fut étranger ;
Sans joie mon entourage ;
Mon cœur jamais ne comprit
Ce qui vint jusqu’à moi.
Mais toi seul
Ce cœur t’a reconnu :
Dès l’instant où tu vins,
Mien fut ton être !
Le secret de mon sein,
– Tout mon cœur –
Clair comme l’aube
Luit à mes yeux ;
Des sons ont chanté,
Tels qu’un écho,
Quand sur l’âpre et froide rive,
Tu vins, seul ami, vers moi !

(Elle s’attache à son cou avec transport, et le regarde les yeux dans les yeux.)

SIEGMUND

Suaves délices !
Joie de mon cœur !

SIEGLINDE
(les yeux tout près des yeux de Siegmund)

Oh ! viens, approche,
Approche encore,
Que mieux j’admire
Le pur éclat
Parant tes yeux,
Tes traits si beaux,
Et qui charme mes sens subjugués !

SIEGMUND
La lune luit,
Blanche, sur toi,
Brûle le flot
De tes fins cheveux :
Tout ce qui m’émut
S’explique pour moi,
Suave, tu charmes mes yeux !

SIEGLINDE
(lui écartant les boucles du front, et le contemplant avec surprise)

Combien ton front
Est large et beau !
Un sang généreux
À tes tempes frémit !
Je tremble dans l’extase
Qui me ravit !
Prodige dont je tressaille :
L’ami qui vient aujourd’hui,
Mes yeux l’ont vu déjà !

SIEGMUND
L’amour rêvé
Revit pour moi :
Mes vœux ardents
te virent jadis !

SIEGLINDE
J’ai vu dans l’onde
Mes propres traits,
Et là, ils vivent, fidèles :
Comme autrefois dans les flots,
Luit mon image en tes traits !

SIEGMUND
C’est toi l’image
Cachée en mon cœur !

SIEGLINDE
(détournant vite son regard)

Tais-toi ! Permets qu’en moi j’écoute...
Ta voix, autrefois
M’émut toute enfant,

Mais non ! naguère encore,
Quand de ma voix l’écho
Me fut redit par les bois !

SIEGMUND
Ô chère harmonie,
Toi qui me charmes !

SIEGLINDE
(le regardant vite de nouveau dans les yeux)

Ton regard si clair
M’émut en ce temps...
Ainsi du vieillard
L’œil était doux,
Et rempli de pitié pour mes pleurs.
Au regard
Son enfant l’a connu,
Son nom me venait sur les lèvres !
Wehwalt, est-ce ton nom ?

SIEGMUND
J’en veux changer,
Puisque tu m’aimes :
Je vis et j’agis dans l’extase !

SIEGLINDE
Et Friedmund dois-je
Heureuse te dire ?

SIEGMUND
Dis de quel nom
Il te plaît qu’on m’appelle :
Mon nom me vienne de toi !

SIEGLINDE
Tu dis que le Loup fut ton père ?

SIEGMUND
Un Loup aux renards qui tremblent !
Mais lui, dont l’oeil
Plein de lumière
En l’œil aimé luit devant moi.
Avait Wälse pour nom !

SIEGLINDE
(hors d’elle-même)
Si Wälse est ton père,
Tu es donc un Wälsung ;
C’est toi qu’attend
Au frêne le fer...
Enfin je te nomme,
Comme je t’aime !
Siegmund,
Tel est ton nom !

SIEGMUND
(bondit vers l’arbre, et saisit la poignée de l’épée)

Siegmund dis-je
Et Siegmund suis-je !
Ma preuve est l’épée,
Que j’ose reprendre !
Wälse m’en arme
Au jour du danger ;
Telle elle attend :
Ma main l’étreint !
D’un saint amour
Suprême angoisse,
D’un âpre amour
Ardente détresse,
Brûle en mon cœur,
Gronde au duel de mort :
Nothung ! Nothung !
Ce nom soit le tien !
Nothung ! Nothung !
Glaive rêvé !
Montre ta lame,
Fer dévorant !
Jaillis de la gaine... à moi !

(D’une violente secousse il arrache du tronc l’épée, et la montre à Sieglinde saisie d’étonnement et d’enthousiasme.)

Siegmund le Wälsung
Vient vers toi !
Ce glaive est
Son gage d’amour :
L’amant conquiert
L’amante ainsi ;
Il l’ôte ainsi ;
Du seuil détesté.
Loin d’ici
Suis-le donc, viens :
Viens au palais
Joyeux du printemps,
Gardée par Nothung l’épée,
Pour Siegmund qu’amour a vaincu !

(Il l’enlace, pour l’entraîner avec lui.)

SIEGLINDE
(dans une ivresse délirante)

Est-ce Siegmund
Que je contemple ?
Sieglinde suis-je
Qui t’attendait :
Ta propre sœur
Est à toi comme à toi est l’épée !
(Elle se jette dans ses bras.)

SIEGMUND
Sœur, épouse,
Sois à ton frère !
Fleurisse donc, Wälse, ton sang !

(Il la serre contre lui avec une ardeur furieuse : elle tombe avec un cri, défaillante, sur son sein. – Le rideau se referme rapidement.)

libretto by Alfred Ernst 
Contents: Personnages; Acte Premier; Acte Deuxième; Acte Troisième

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