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Si j'étais roi” by Adolphe Adam libretto (French)

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Contents: Personnages; Acte I; Acte II; Acte III
Acte I

Le théâtre représente un site pittoresque sur le bord de la mer. Au lever du rideau, des femmes de pêcheurs viennent réveiller leurs maris, étendus sur le sable.

Scène première.
Piféar, pêcheurs et femmes de pêcheurs.

Introduction.
CHOEUR.
Gais pêcheurs, quittons ce rivage,
Le soleil luit, les vents sont bons;
Et les flots, tout bas, à la plage
Semblent redire nos chansons.
PIFÉAR, entrant.
Zéphoris! Zéphoris! c'est ton ami fidèle,
C'est ton Piféar qui t'appelle.
Aux Pêcheurs.
Ne le voyez-vous pas?
LES HOMMES.
Non, non.
PIFÉAR, aux femmes.
Ni vous non plus?
LES FEMMES.
Non, non.
PIFÉAR.
O Brahma! quel guignon!
LE CHOEUR.
Viens, viens sans lui.
PIFÉAR.
Sans lui, c'est impossible.
LE CHOEUR.
Mais pourquoi? mais pourquoi?
PIFÉAR.
Il ne peut pas pêcher sans moi.
TOUS.
Ah! l'histoire est risible!
Mais pourquoi? mais pourquoi?
PIFÉAR.
Écoutez-moi.

Premier couplet.
Zéphoris est bon camarade,
Mais c'est un pêcheur fort mauvais;
Sans moi, les poissons de la rade
Ne craindraient guères ses filets.
Comme il ne cherche, sur ces bords,
Que perles fines et trésors,
Et que le reste il le rejette
Chaque fois que son filet sort;
Quand à le vider il s'apprête
Je remplis le mien sans effort.
Voilà pourquoi bis
Il ne peut pas ... pêcher sans moi.

Deuxième couplet.
Zéphoris, malgré son visage,
A grand besoin de mon appui;
Sans moi, les filles du village
A sa barbe riraient de lui.
Que de belles, complaisamment,
Lui tendent un minois charmant!
Mais Zéphoris est sans malice,
Les amours lui sont inconnus;
Et sans moi, qui fais son office,
Tous ces baisers seraient perdus!
Voilà pourquoi bis
Il ne peut pas ... aimer sans moi.
LE CHOEUR.
Gais pêcheurs, etc., etc.
Tous remontent, Zizel paraît au fond.

Scène II.
Les mêmes, Zizel.
PIFÉAR.
Quel contre-temps! voilà Zizel,
Le surveillant de cette côte;
Il est dur, injuste et cruel,
Et de nous rançonner il ne se fait pas faute.
LE CHOEUR.
Partons sans bruit, partons, partons.
ZIZEL.
Halte-là! mes petits moutons!
Avant d'aller pêcher, il vous faut me répondre,
Et chacun à son tour ... Piféar, mon ami!
PIFÉAR, voulant s'esquiver.
Le mouton voudrait bien ne pas se laisser tondre.
ZIZEL, le ramenant.
Piféar, viens ici;
D'un délit condamnable
Tu dois être coupable.
PIFÉAR.
Moi! je jure qu'il n'en est rien!
ZIZEL.
Tu ne l'as pas commis encor, peut-être bien;
Mais tu le commettras bientôt, donc, à l'amende.
PIFÉAR.
Mais, quel délit? je le demande.
ZIZEL.
A l'amende! à l'amende!
Ou sinon,
En prison.
PIFÉAR, payant.
J'aime encor mieux l'amende,
Mais pourtant
Je suis bien innocent.
ZIZEL, à une femme.
D'un délit condamnable
Tu dois être coupable.
Ne me réplique rien,
Ce que je dis, je le sais bien.
A l'amende! à l'amende!
LA FEMME.
Ah! votre erreur est grande.
ZIZEL.
A l'amende! à l'amende!
Elle lui donne de l'argent.

Scène III.
Les mêmes, Zélide, puis Zéphoris.
ZIZEL, à Zélide, qui cause avec Piféar, son futur.
A votre tour, petite; approchez.
ZÉLIDE.
J'ai bien peur!
ZIZEL, l'amenant de force sur le devant de la scène.
D'un délit condamnable. ...
ZÉPHORIS, entrant avec précipitation.
Arrêtez
TOUS.
Zéphoris!
ZÉPHORIS, se plaçant entre sa sœur et Zizel, et repoussant celui-si.
Vieillard, sur mon honneur!
S'il est une chose coupable,
C'est le trafic honteux auquel vous vous livrez.
ZIZEL.
Jeune imprudent, vous ignorez
Ce que pourrait contre vous ma colère.
ZÉLIDE.
Ah! pitié pour mon frère!
Ne soyez pas sourd à mes cris.
Pitié pour Zéphoris.

Quatuor et Choeur.
ZÉPHORIS.
N'implore pas, cesse de craindre,
Son courroux ne saurait m'atteindre:
Peut-on traiter avec rigueur
Le frère qui défend sa sœur?
ZIZEL.
Quand tout doit trembler et me craindre,
Un téméraire ose se plaindre.
La loi me donne par bonheur
De quoi seconder ma fureur!
PIFÉAR ET LES PÊCHEURS.
Pour Zéphoris que faut-il craindre?
La loi va-t-elle donc l'atteindre?
Peut-on traiter avec rigueur
Le frère qui défend sa sœur?
ZÉLIDE.
Ah! mon trouble ne peut se peindre.
La loi, mon frère, va t'atteindre!
Tu vas essuyer sa rigueur
Pour avoir protégé ta sœur.
ZIZEL, à Zéphoris.
Tu vas à la prison me suivre de ce pas.
TOUS.
Quoi! la prison! ... Ah! ne l'y menez pas!
ZÉLIDE, à Zizel.
Mon doux seigneur, je vous le jure,
Si contre vous mon frère s'emporta,
Ce n'était pas pour vous faire une injure,
Il est trop poli pour cela.
Elle lui glisse une pièce de monnaie.
ZIZEL. A ses acolytes.
Un instant! un instant! Pour remplir mon office,
Je dois à la justice,
Avant qu'on le punisse,
D'écouter ses raisons.
Prenant Zélide à part et tendant la main.
Voyons donc vos raisons,
Nous écoutons.
Zélide donne une autre pièce.
Bon! déjà
Je goûte
Cette raison-là.
Il tend encore la main, nouvelle pièce d'argent.
J'approuve sans doute
Aussi celle-là.
Même jeu de scène et pareille réponse de Zélide.
Vos trois raisons, vos trois raisons, mignonne,
Sont d'un grand poids.
Il fait sauter l'argent dans sa poche.
Et j'y fais droit, car je le dois.
A ses acolytes, qui entourent Zéphoris.
J'ai l'âme bonne,
Je lui pardonne.
Et quant à vous, pêcheurs, plus de délits nouveaux.
Maintenant, que chacun retourne à ses travaux.
Allez à l'ouvrage;
Moi, j'ai bien travaillé, mes chers petits moutons.
CHOEUR.
Gais pêcheurs, quittons ce rivage,
Le soleil luit, les vents sont bons,
Et les flots, tout bas, à la plage,
Semblent redire nos chansons.
Allons pêcher, partons! partons!
Tout le monde sort, à l'exception de Piféar, Zélide et Zéphoris.

Scène IV.
Zéphoris, Piféar, Zélide.
ZÉPHORIS.
Demeure, Piféar, j'ai à te parler.
PIFÉAR.
A moi?
ZÉPHORIS.
Et à toi aussi, ma sœur.
Il leur prend ta main à tous deux.
ZÉLIDE.
Que peux-tu avoir à me dire?
ZÉPHORIS.
Tu baisses les yeux, tu rougis! ... Petite sœur, vous savez de quoi je veux vous entretenir.
PIFÉAR.
Moi, je n'ai pas rougi, je n'ai baissé aucun œil, moi; j'ignore de quoi tu veux nous entretenir, moi.
ZÉPHORIS.
Eh bien! je vais tout t'apprendre; mon garçon, tu n'es pas beau ...
PIFÉAR.
Il y a des bossus qui sont plus laids que moi.
ZÉLIDE.
Certainement.
ZÉPHORIS.
Tu n'as pas grand esprit ...
PIFÉAR.
Il y a des imbéciles qui sont plus bêtes que moi.
ZÉLIDE.
Sans doute.
ZÉPHORIS.
Tu manques de courage ...
PIFÉAR.
Il y a des poltrons qui ... Ah çà! mais, si c'est là tout ce que tu as à m'apprendre ...
ZÉPHORIS.
Non ... j'en veux venir à ceci: que tout laid, tout bête et tout poltron que tu es ...
PIFÉAR.
Merci!
ZÉLIDE.
Mon frère ...
ZÉPHORIS.
Il y a cependant une belle et bonne fille qui a la folie de t'aimer.
PIFÉAR.
Tu appelles ça de la folie? ... Mais c'est du goût, c'est du goût!
ZÉPHORIS.
Enfin, comme toutes les faiblesses du cœur me paraissent excusables, à moi, dont le cœur parle plus haut que la raison, dis un mot et je te donne sa main.
PIFÉAR, très-joyeux.
Sa main! A moi! ... Tu me donnes sa main! sa main! Changeant de ton. Et avec quoi dedans?
ZÉPHORIS.
Comment?
ZÉLIDE.
Avec quoi?
PIFÉAR.
Pardon ... je me suis trompé, je veux dire: avec combien dedans?
ZÉLIDE, pleurant.
Oh! c'est affreux!
ZÉPHORIS, avec indignation.
Oh! Piféar!
PIFÉAR.
Qu'est-ce que vous avez? Est-ce que c'est pour moi que je demande ça? ... Pour moi! par exemple! ... C'est pour eux.
ZÉPHORIS ET ZÉLIDE.
Pour eux? ...
PIFÉAR.
Oui, pour les trois ou quatre petits que nous aurons d'abord, les cinq ou six qui viendront après, et ... la suite, ensuite. Ah! dame! mon grand-père en a eu douze, mon père en a eu quatorze, et je suis perdu de réputation si je ne vais pas à dix-sept.
ZÉPHORIS, avec colère.
Enfin!
PIFÉAR.
Enfin, il faut bien que je m'occupe de leur avenir, à ces chers petits ... à venir. Car je les aime, je les chéris; je les ... Et vous, ma femme future, est-ce que vous ne les aimez pas, nos futurs petits?
ZÉLIDE.
Mais ...
ZÉPHORIS.
Bref, tu veux savoir ce que nous avons d'argent ... Eh bien, adresse-toi à Zélide, moi je n'en sais rien; c'est elle qui tient le trésor.
PIFÉAR.
Ah! c'est elle qui ... Nous disons donc, Zélide, que nous avons? ...
ZÉLIDE, baissant les yeux.
Nous n'avons rien.
ZÉPHORIS, étonné.
Rien?
PIFÉAR.
Ce n'est guères ...
ZÉPHORIS.
Rien, Zélide? Et ce que nous a laissé notre père?
ZÉLIDE.
Jusqu'ici, j'ai gardé le silence, de peur de t'affliger, mon frère; mais aujourd'hui, je ne veux tromper personne, et il faut bien que je te dise la vérité.
ZÉPHORIS.
Parle.
ZÉLIDE.
Depuis longtemps, mon ami, ta pêche est malheureuse, je te vois rentrer au logis, si triste, si abattu, que je n'ai pas le courage de t'adresser le moindre mot de reproche, et je vais prendre une à une, pour nous faire vivre, ces pièces de monnaie que notre père avait amassées pour nous.
ZÉPHORIS, avec force.
Pour toi, Zélide! pour te faire une dot! ... Et tout est épuisé? ...
ZÉLIDE.
Tout!
ZÉPHORIS.
Oh! pardonne-moi, sœur, pardonne-moi.
ZÉLIDE.
Ce n'est pas ta faute si le poisson ne se prend pas dans tes filets.
PIFÉAR.
Le poisson! mais il s'y précipite, au contraire, dans ses filets; seulement, Zéphoris le rejette.
ZÉLIDE.
Se peut-il?
PIFÉAR.
Il dédaigne le merlan, il méprise la limande, il rejette à l'eau les turbots ... les plus beaux ...
ZÉLIDE.
Serait-il vrai?
PIFÉAR.
Ce qu'il demande à la mer ce sont de jolis coraux, c'est un banc de perles fines ... il est fou, enfin.
ZÉLIDE.
Assez, assez! Allant lentement à Zéphoris qui se tient la tête baissée et lui prenant la main. Frère! elle est donc bien riche celle que tu aimes?
ZÉPHORIS, la pressant sur son cœur.
Oh! tu m'as deviné, tu m'as compris, toi.
PIFÉAR.
Je demande à comprendre aussi.
ZÉPHORIS.
Oui, je l'aime avec passion, avec délire, et je voudrais des trésors pour les lui donner si elle est pauvre, ou pour m'élever jusqu'à elle si sa nais sance est illustre.
PIFÉAR.
Il aime et il ne connaît pas son objet! est-ce drôle ... Mais, j'y pense, serait-ce pour cette beauté que tous les soirs, à la deuxième heure de la nuit, tu viens là, à cette place?
ZÉPHORIS.
Oui, je l'attends, depuis huit grands mois, mais c'est en vain.
ZÉLIDE.
Où l'as-tu donc vue pour la première fois?
ZÉPHORIS.
Dans ces flots ... où le courant l'entraînait.
PIFÉAR.
Ah! c'est là-dedans que tu as fait sa connaissance?
ZÉPHORIS.
C'était par un beau soir d'été, j'errais seul, dans ces parages. Tout à coup des cris de désespoir frappent mon oreille, une jeune fille va périr: je m'élance à son secours du haut d'un rocher qui domine la mer, bientôt la pauvre enfant est dans mes bras; longtemps je luttai contre le courant, qui m'entraînait à mon tour; enfin, nous arrivâmes sur cette plage, et c'est sur ce sable même que je la déposai encore évanouie, les rayons de la lune inondaient son visage de leur douce clarté. ... Oh! qu'elle était belle! mon Dieu! La voix de ses compagnes qui accouraient vers nous vint m'arracher à mon extase. Honteux de mes regards, je détournai la tête et je m'enfuis. J'avais sauvé sa vie, je voulus sauver aussi sa pudeur.
ZÉLIDE.
Et tu ne l'as jamais revue?
ZÉPHORIS.
Jamais! ... Est-elle une humble fille comme toi, ma sœur? est-elle née au sein des villes? je ne sais.

Romance.

Premier couplet.
J'ignore son nom, sa naissance;
Quand, éperdu, dans l'onde je la vis,
Sa seule robe d'innocence
Était le flot auquel je la ravis.
Elle était belle,
Je la sauvai;
Et voilà d'elle
Ce que je sai:
Peut-on demander à l'aurore,
Sortant de son lit immortel,
Si le doux rayon qui la dore
Lui vient de la terre ou du ciel?

Deuxième couplet.
En la cherchant, je n'ai pour guides
Que son image et ce modeste anneau,
Qui glissa de ses doigts humides
Et que je veux garder jusqu'au tombeau.
Quand je soupire,
Le pauvre anneau
Semble me dire:
Cherche au hameau.
L'image me dit, au contraire:
Cherche loin du monde réel;
Je ne puis habiter la terre
Puisque les anges sont au ciel.
ZÉLIDE.
Pauvre Zéphoris, hélas! où te conduira ton amour?
ZÉPHORIS.
Oh! cent fois j'ai voulu l'oublier; mais comment faire? Le jour, la nuit, son image est toujours là, devant moi.
PIFÉAR.
On ferme les yeux, donc.
ZÉPHORIS.
Mais, à l'avenir, c'est fini! plus de rêves insensés! je veux regagner ce que mon amour égoïste t'a fait perdre; et puisque tu as encore la faiblesse de l'aimer, lui, qui ose te marchander ...
PIFÉAR.
Mais non, je ne marchande pas.
ZÉPHORIS.
Dans deux mois, j'aurai retrouvé tout ce que notre père nous avait laissé, dans deux mois vous serez unis.
ZÉLIDE.
Mon bon frère!
Elle l'embrasse à droite.
PIFÉAR.
Mon ... beau-frère!
Il l'embrasse à gauche, Zéphoris le repousse.
ZÉPHORIS.
Allons, venez.
PIFÉAR.
Non, il est trop tard, je reste. J'attends ici ... quelqu'un ... une pratique à moi.
ZÉPHORIS.
A qui tu vends du poisson?
PIFÉAR.
Non, c'est un seigneur pour lequel je porte au loin des lettres ... que je soupçonne ... d'amour.
ZÉLIDE ET
ZÉPHORIS. Comment?
PIFÉAR.
Depuis huit jours j'en ai déjà porté trois comme ça ... il s'agit d'aller ... au large ... bien au delà du banc de corail que ne dépassent jamais les pêcheurs. Là, une barque qui vient ... je ne sais d'où, accoste la mienne ... celui qui la monte prend mon message et m'en donne un autre ... il emporte le mien, je rapporte le sien ... et on me donne deux pièces d'or pour ça ... Il n'y a que les secrets d'amour qui se payent aussi cher.
ZÉPHORIS.
D'amour ... ou de trahison ... qui sait? ...
PIFÉAR.
De trahison!
ZÉPHORIS.
Je me méfie de cette générosité, de cette barque venue on ne sait d'où ... Enfin, c'est ton affaire.
PIFÉAR.
J'aperçois mon homme ... au revoir.
ZÉPHORIS ET
ZÉLIDE. Au revoir.
Ils sortent.

Scène V.
Kadoor, Piféar.
PIFÉAR.
Une trahison ... allons donc! c'est impossible. A Kadoor qui entre. Seigneur.
KADOOR.
Tu es exact ... c'est bien ... mais sache aussi être muet.
PIFÉAR.
Je le serai, seigneur ... comme un poisson.
KADOOR.
D'ailleurs ... sur un mot, je te ferais trancher la tête.
PIFÉAR, tremblant.
Tran ... tran ... trancher la tête ... A part. Ah! Zéphoris disait vrai ... ça sent la trahison.
KADOOR.
Si tu me sers avec discrétion ... je paye généreusement. Ce message sera le dernier, et celui-là, je le paye trois pièces d'or.
PIFÉAR.
Trois pièces d'or! Zéphoris se trompait, c'est un amoureux.
KADOOR.
Tiens! tu partiras demain, avec tous les pêcheurs, pour ne pas éveiller les soupçons.
PIFÉAR.
Et demain, la belle aura votre lettre ... car, c'est pour une belle.
KADOOR.
Tu as deviné ... mais pas un mot.
PIFÉAR.
Pas un mot! ...
Il sort.

Scène VI.
KADOOR, seul.
Tout va bien! Ce pêcheur est un imbécile; il ne peut soupçonner de quelle haute mission je viens de le charger; à merveille! Endors-toi dans ta mollesse, insolent monarque, ton ennemi veille ... Mais, quelles sont ces clameurs. Il remonte. C'est lui! c'est le roi et notre belle cousine; me soupçonnerait-on? tenons-nous à l'écart et assurons-nous en.
Il s'eloigne.

Scène VII.
Le roi, Némea, Kadoor, suite du roi et de la princesse.
CHOEUR.
Gloire à Brahma qui te protége,
Brillant cortége,
D'un ciel si pur!
Au Roi du jour c'est lui qui donne
Cette couroune
D'or et d'azur.
LE ROI.
Arrêtons-nous sous ces épais ombrages,
Et respirons, en liberté,
L'air pur de ces rivages.
NÉMEA.
Ah! de ces bords heureux j'admire la beauté,
Que la nature est grande en ses ouvrages!
Quels sites! quels tableaux et quelle majesté!
LE ROI.
Oui, quelle majesté!
La mienne, en vérité,
Est bien peu de chose à côté.
Qu'en dites-vous, belle cousine?
NÉMEA.
O roi! Votre essence est divine.
Vous avez trop d'humilité.

Nocturne.
Du tendre oiseau la mélodie,
Le clair ruisseau de la prairie,
Le sable d'or, l'herbe fleurie,
Les hauts palmiers, les verts îlots
Et les flots,
Les blanches fleurs à peine écloses,
Magnolias, jasmins et roses,
Ces sublimes ou douces choses,
C'est pour les rois seuls que Brahma
Les créa.
LE ROI.
Vous vous trompez, ma belle amie;
Du tendre oiseau la mélodie,
Le sable d'or, l'herbe fleurie,
Les hauts palmiers, les verts îlots
Et les flots,
Les blanches fleurs à peine écloses,
Magnolias, jasmins et roses,
Ces sublimes ou douces choses,
C'est pour les belles que Brahma
Les créa.

Scène VIII.
Le roi, Kadoor, Némea.
LE ROI, à Kadoor qui reparaît.
Eh! c'est notre beau cousin; je m'étonnais de ne point vous voir parmi les seigneurs de ma cour; mais la présence de Némea m'a bien vite rassuré, et je lui disais, il y a quelques instants: – Princesse, puisque vous êtes avec moi, nous ne tarderons pas à voir le prince Kadoor.
KADOOR.
Les fleurs attirent les abeilles.
NÉMEA.
Et les frelons.
LE ROI.
Soyez donc plus aimable pour ce pauvre Kadoor.
KADOOR.
Votre Majesté est bien bonne de me témoigner une si généreuse pitié.
LE ROI.
J'ai mes raisons, cousin.
KADOOR.
Et puis-je les connaître?
LE ROI.
Cette couronne que nous partons, vous pouviez en hériter aussi bien que nous-même, et puisqu'elle nous est échue, nous voulons, pour vous consoler, vous donner le plus beau joyau du royaume.
Il lui montre Némea.
NÉMEA.
C'est-à-dire que je payerai les frais de la guerre.
LE ROI.
La guerre!
KADOOR.
La guerre! entre Sa Majesté et moi. Oh! décidément, princesse, vous ne m'aimez pas, et peut-être ferais-je mieux de renoncer á nos projets d'alliance.
LE ROI.
Y renoncer? mais répondez donc, Némea.
NÉMEA.
Je crois que le seigneur Kadoor a raison.
LE ROI.
Comment?
KADOOR.
Daignez vous expliquer.
NÉMEA.
Eh bien, seigneur Kadoor, l'hommage de votre cœur et de votre main m'honore au plus haut degré; mais cela me gêne ... un peu, et cela me désoblige ... beaucoup.
KADOOR.
Que vous voulez-vous dire?
NÉMEA.
Tenez, je vais vous parler franchement. Prince Kadoor ... mon cœur ne m'appartient pas.
LE ROI.
Vous aimez quelqu'un?
KADOOR.
Et cet homme ... c'est? ...
NÉMEA.
Je ne le connais pas.
KADOOR.
Mais, princesse ...
NÉMEA.
Écoutez ... c'est toute une histoire: Il y a quelques mois, j'eus la fantaisie d'aller me baigner sur une plage éloignée; l'endroit était désert; au loin, seulement, passait une barque élégante, montée par de jeunes seigneurs, car l'écho repétait leurs chants, et ces chants étaient ceux de la cour. Tout à coup, un courant inconnu m'entraîne au large, je veux lutter, je crie, j'appelle ... et je disparais enfin sous les flots ... Quand je revins à moi, j'étais étendue sur le sable, et lorsque je demandai à mes femmes qui m'entouraient, quel était mon sauveur: Nul n'était sur la grève, me répondirent-elles; votre sauveur est un envoyé du ciel, qui a disparu à notre approche.
LE ROI.
Kadoor, est-ce que vous croyez à cette intervention de Brahma?
KADOOR.
Moi, Majesté?
NÉMEA.
Oh! je suis trop peu de chose pour que le ciel m'ait envoyé un de ses anges. Mon sauveur n'est pas tombé du ciel, il s'est élancé de cette barque montée par de jeunes seigneurs, il m'a disputée au courant qui menaçait de l'engloutir avec moi, et c'est au péril de sa vie qu'il a sauvé la mienne.
KADOOR.
Tout ceci ne me dit pas ce que l'offre de ma main ...
NÉMEA.
A de gênant pour moi? Vous ne comprenez pas qu'en affichant partout vos prétentions à mon cœur, en publiant hautement notre prochain mariage, vous l'empêchez de se faire connaître, lui!
LE ROI.
C'est vrai, vous l'effarouchez, lui!
KADOOR.
Si c'est là le seul obstacle, j'ose vous prédire, princesse, que celui qui garde le silence par discrétion avant notre mariage, se taira par respect quand vous m'appartiendrez.
NÉMEA.
Soit! il ne se fera pas connaître ... vous me répondez de lui; mais si je le découvre, je ne vous réponds pas de moi, du tout.
LE ROI.
Comment, Nemea ...
NÉMEA.
Écoutez donc, un jeune seigneur qui vous sauve, et qui ne demande rien . .... cela mérite beaucoup. A Kadoor. Réfléchissez-y, seigneur, réfléchissez-y ... longtemps.
LE ROI, bas.
Mon cher Kadoor, à votre place, je crois que j'y réfléchirais ... toujours.
KADOOR.
Ainsi, princesse, votre dernier mot?
NÉMEA.
Mon dernier mot, le voilà: Si celui qui m'a sauvée se présente à moi, s'il me redit ces paroles suprêmes que m'arrachait le désespoir quand j'allais mourir; si ce seigneur est de haute naissance; et si Sa Majesté daigne le permettre, je lui donnerai mon cœur et ma main.
LE ROI, avec une feinte sévérité.
Et si je le défends, princesse?
NÉMEA.
Alors, Majesté, je reprendrai ... ma main.
Elle remonte la scène.
LE ROI, riant.
Je comprends!
NÉMEA.
N'est-ce pas une barque de la maison royale, que j'aperçois au loin?
LE ROI.
Oui, princesse.
NÉMEA.
La mer est bien calme aujourd'hui.
LE ROI.
Vous plairait-il de monter dans cette embarcation?
NÉMEA.
Elle est très-éloignée du rivage.
LE ROI.
Qu'à cela ne tienne. Holà! esclave ... appelle ces pêcheurs que e vois là-bas sur la grève.
L'esclave sort.
NÉMEA.
Si Votre Majesté le désire, en attendant l'arrivée de la barque royale, nous continuerons notre promenade sur ces bords.
LE ROI.
Soit! nous accompagnez-vous, Kadoor?
KADOOR.
Non, Majesté, j'ai ... quelques ordres à donner; je ferai, en même temps, prévenir les rameurs royaux.
LE ROI.
Votre main, Néméa.
Au moment où ils vont sortir, Zéphoris et Piféar, amenés par l'esclave, paraissent au fond. Zéphoris en apercevant Némea pousse un cri, et descend en scène comme en proie à une vision.
ZÉPHORIS.
Grand Dieu! c'est elle! c'est bien elle!
Le Roi et Némea s'éloignent suivis de la cour.
KADOOR.
Qu'a donc cet homme?
PIFÉAR.
Qui, elle? celle que tu as sauvée?
KADOOR.
Que dit-il?
ZÉPHORIS, remontant la scène pour suivre Némea des yeux.
Oh! ce n'est pas une illusion ...
KADOOR.
Eh quoi! ce serait là ... A Piféar. Pêcheur, monte dans ta barque, et de la part du roi, fais aborder ici le canot que tu vois au large.
PIFÉAR.
Le roi? le roi m'envoie en commission, oh! ma fortune est faite.
Il sort.

Scène IX.
Zéphoris, Kadoor.
ZÉPHORIS.
Seigneur ... par grâce, daignez me dire ... quelle est cette jeune femme si richement vêtue qui vient de s'éloigner?
KADOOR, l'observant.
C'est? ... la princesse ... Némea.
ZÉPHORIS.
Une princesse!
KADOOR.
Pourquoi cette question?
ZÉPHORIS.
Pardon, seigneur; mais vous ne pouvez pas savoir ... vous ne pouvez pas comprendre ...
Il veut s'éloigner.
KADOOR, le retenant.
Tu te trompes, je comprends ton émotion, et je sais que tu as sauvé la princesse qui allait mourir.
ZÉPHORIS.
Qui vous a dit? ...
KADOOR.
Elle-même.
ZÉPHORIS.
Elle!
KADOOR.
Qui m'a chargé de rechercher son sauveur.
ZÉPHORIS.
Se peut-il? ... Elle se souvient encore? ... elle! ... me chercher ... pourquoi? dans quel but?
KADOOR.
Oublie-t-on si vite un généreux dévouement? Mais, d'abord, c'est toi, c'est bien toi qui l'as sauvée?
ZÉPHORIS.
Oui, seigneur.
KADOOR.
C'était? ...
ZÉPHORIS.
C'était un soir.
KADOOR.
Il y a de cela? ...
ZÉPHORIS.
Il y aura demain juste huit mois.
KADOOR, à part.
Demain? Haut. Et tu te jetas à la mer? ...
Il regarde autour de lui.
ZÉPHORIS.
Du haut de ce rocher que vous voyez là- bas.
KADOOR.
Et ... lorsque tu l'eus arrachée à la mort ... tu la portas? ...
ZÉPHORIS.
Ici même, seigneur.
KADOOR, à part.
Ici!
ZÉPHORIS.
Voilà le sable qui lui servit de couche.
KADOOR, à part.
Bien! Haut. Enfin, tu te souviens, n'est-ce pas, de ces paroles qu'elle disait avec désespoir dans cette lutte suprême où elle croyait succomber?
ZÉPHORIS.
Ces paroles prononcées par elle et entendues de moi seul ... Oui, seigneur, je m'en souviens! Ma mère ... ma mère chérie, s'écriait-elle, du haut des cieux, protége-moi!
KADOOR, à part.
A merveille! Haut. Oui, c'est toi, c'est bien toi! et je puis te témoigner toute la reconnaissance de Némea . ... et je puis te dire ce qu'elle attend de ton respect, ce qu'elle espère de ton dévouement.
ZÉPHORIS.
Parlez, seigneur, que veut-elle? Chacun de ses désirs sera pour moi comme un ordre de Dieu même; que veut-elle?
KADOOR.
Que tu promettes de ne jamais révéler à personne que c'est la princesse Némea que tu as sauvée.
ZÉPHORIS.
Oh! ce secret restera entre nous trois!
KADOOR.
Que tu promettes de ne jamais chercher à te rapprocher d'elle ...
ZÉPHORIS, avec douleur.
Eh quoi! ...
KADOOR.
Que tu jures, enfin, de ne jamais lui rappeler qu'un misérable pêcheur l'a tenue un instant dans ses bras ...
ZÉPHORIS, à part. Oh! mon rêve,
mon beau rêve! Tout est fini pour moi.
KADOOR.
Consens-tu à me faire ce serment?
ZÉPHORIS, à part.
Elle est princesse! un abime nous sépare!
KADOOR.
Eh bien?
ZÉPHORIS.
Dites-lui, seigneur, que la princesse Némea n'a rien à redouter du pauvre Zéphoris . .... recevez ici mon serment solennel! Je vous jure, seigneur, de me taire pour tous ...
KADOOR.
Et pour elle-même?
ZÉPHORIS, avec effort.
Et pour elle-même, je le jure par Brahma qui m'entend.
KADOOR.
C'est bien. Lui tendant une bourse. Je lui porterai ton serment, et j'ajouterai que tu as reçu ta récompense.
ZÉPHORIS.
Oui, seigneur, j'ai reçu une récompense et mille fois plus précieuse que celle-ci, que je refuse.
KADOOR.
Comment?
ZÉPHORIS.
Cette femme si noble, si fière et si belle, moi, pauvre pêcheur, je l'ai tenue dans mes bras; ce cœur si hautain, il a battu contre mon cœur, ces longs cheveux noirs ont enveloppé ensemble et sa tête et la mienne, et quand je l'eus arrachée à la mort, mes lèvres ont osé presser son front. Dites- lui cela, seigneur, elle comprendra que je suis bien payé, et que je n'ai pas besoin de votre or ...
Il sort.

Scène X.
KADOOR, seul.
Oser me braver ainsi! ... oh! malheur à lui! ... il se taira du moins ... il l'a juré ... Némea m'appartiendra ... et si, pour me rassurer tout à fait, ce n'est pas assez du serment de cet homme ... eh bien! ... il partira.

Scène XI.
Kadoor, le roi, Némea.
KADOOR.
Le roi et la princesse ... à notre rôle.
Il semble réfléchir profondément.
LE ROI.
Encore ici.
KADOOR.
Majesté ... pardonnez ... je ...
NÉMEA.
Dans quelles graves réflexions étiez-vous donc plongé?
KADOOR.
Je songeais, princesse, à tout ce que vous m'avez dit il y a quelques instants.
NÉMEA.
Et vous pensez? ...
KADOOR.
Je pense que celui qui vous a sauvée serait bien fou de garder plus longtemps le silence ...
NÉMEA.
Vous le connaissez donc?
KADOOR.
Je le connais.
LE ROI.
En vérité?
NÉMEA.
Oh! nommez-le-moi, nommez-le-moi, je vous en conjure?
KADOOR.
Vous vous sentez donc toujours près de l'aimer?
NÉMEA.
Je l'avoue, seigneur.
KADOOR.
Eh bien! ... celui qui fut assez heureux pour exposer ses jours en sauvant les vôtres, celui qui n'aurait voulu vous devoir qu'à l'amour et non à la reconnaissance ...
NÉMEA ET LE ROI.
C'est?
NÉMEA ET LE ROI.
C'est?
KADOOR.
C'est moi!

Trio.
NÉMEA.
O surprise inouïe!
O coup inattendu!
S'il m'a sauvé la vie,
Mon bonheur est perdu!
LE ROI.
O surprise inouïe!
L'ai-je bien entendu?
Il lui sauva la vie,
Je reste confondu.
KADOOR.
Un seul mot l'a guérie
D'un amour prétendu,
A sa coquetterie
Le tour était bien dû.
NÉMEA, à Kadoor.
Afin qu'en moi nul doute ne demeure,
De vous je veux savoir l'endroit, le jour et l'heure
Où vous avez sauvé mes jours.
KADOOR.
Vraiment cela
M'est bien aisé, car cet endroit est là,
Non loin du rocher solitaire
Qui prête à l'onde son mystère.
NÉMEA.
C'est vrai.
LE ROI, à Némea.
C'est vrai?
KADOOR, avec force.
C'est vrai! puis voici le rivage
Où par le courant maîtrisé,
Sur le sable je vous posai.
NÉMEA.
C'est vrai!
LE ROI, à Némea.
C'est vrai?
KADOOR, avec force.
C'est vrai: pour dernier témoignage,
Quand je me jetai dans les flots,
Parmi vos cris je distinguai ces mots:
»Ma mère, ô ma mère chérie!
Du haut des cieux, sois mon appui.«
NÉMEA.
C'est lui!
KADOOR.
C'est moi.
LE ROI.
C'est lui!
Reprise de l'ensemble.
KADOOR.
Oui, la voilà guérie, etc.
NÉMEA ET LE ROI.
O surprise inouïe, etc.
LE ROI.
Et maintenant, belle cousine,
Vous devez l'aimer, j'imagine?
NÉMEA, après un silence.
J'interroge mon cœur.
KADOOR.
Eh bien?
LE ROI.
Eh bien?
NÉMEA.
Eh bien
Il ne me répond rien.
KADOOR.
Comment! rien?
NÉMEA.
Rien.
KADOOR.
Rien?
LE ROI, à Kadoor en riant.
Rien!
NÉMEA, à Kadoor.
Mais prenez patience;
Mon cœur doit m'avoir entendu:
Avant deux minutes, je pense
Qu'il m'aura répondu.

Ensemble.
LE ROI ET NÉMEA.
Ah! ah! ah! etc., etc.
Dès qu'il aura parlé, prince, on vous le dira.
KADOOR, riant ironiquement.
Ah! ah! ah! etc.
Implacables railleurs! ma revanche viendra.
À Némea.
Mais, no disiez-vous pas vous-même:
»Mon sauveur est celui que j'aime?«
NÉMEA.
Oui, sans doute, je le disais ...
Mais ...
LE ROI.
Mais?
KADOOR.
Mais?
NÉMEA.
Mais ...
Je ne le croyais pas si près.
LE ROI ET NÉMEA.
Ah! ah! ah! etc.
Qui pouvait, beau cousin, se douter de cela!
KADOOR.
Ah! ah! ah! etc.
Implacables railleurs, ma revanche viendra!
LE ROI, à Némea.
Les deux minutes sont passées,
De vos plus intimes pensées
Vous ne pouvez plus rien celer.
Allons, princesse, il faut parler.

Premier couplet.
En songe, vous voyiez l'image
D'un brillant et jeune seigneur,
Au cœur brûlant, au doux visage;
Et vous disiez, c'est mon sauveur!
Mais enfin, le mystère cesse;
Votre sauveur est retrouvé,
Dites-nous à présent, princesse,
Si vous croyez encore avoir rêvé

Deuxième couplet.
Vous l'adoriez sans le connaître;
Et répétiez dans votre ardeur:
Jamais je n'aurai d'autre maître
Que mon mystérieux sauveur!
Vous vous faisiez cette promesse
Avant de l'avoir retrouvé,
Dites-nous à présent, princesse,
Si vous croyez toujours avoir rêvé.
NÉMEA, à Kadoor qui semble l'interroger.
Puisque je ne dois plus vous taire mes pensées,
Puisque vous êtes mon sauveur,
Et puisqu'enfin, noble seigneur,
Les deux minutes sont passées:
Voici ma main ...
KADOOR.
O bonheur! ô bonheur!
NÉMEA.
Je vous donne ma main ... mais je garde mon cœur.
KADOOR.
Et pour qui donc?
NÉMEA.
Mais ... pour moi-même.
LE ROI, à Kadoor.
Le temps est un maître suprême!
Prince, prenez la main en attendant le cœur.
Ensemble.
LE ROI.
Enfin, il la tient,
Cette main chérie;
Némea devient
Son bien et sa vie.
A ses feux jaloux,
Plus de résistance!
Il a l'assurance
D'être son époux.
KADOOR.
Enfin, je la tiens,
Cette main chérie;
C'est de tous les biens
Celui que j'envie.
A mes feux jaloux
Plus de résistance!
J'obtiens l'assurance
D'être son époux.
NÉMEA.
Ah! je vous préviens
Que je me marie,
Sans que ces liens
Comblent mon envie.
S'il faut aux époux
Un amour immense,
Je n'aurai, je pense,
Qu'amitié pour vous.

Strette.
KADOOR.
Je l'épouse, car dans mon cœur,
Je n'ai point peur
Que sa froideur
Soit le signal de sa rigueur.
NÉMEA.
Je l'épouse, lui, mon sauveur!
Mais j'ai bien peur
Que de mon cœur
Jamais il ne soit le vainqueur.
LE ROI.
Elle épouse enfin son sauveur:
Mais j'ai bien peur
Que de son cœur
L'époux ne soit jamais vainqueur.
LE ROI, remontant.
La barque royale est prête.
Il prend la main de Némea.
KADOOR, s'inclinant.
A bientôt, ma noble fiancée.
NÉMEA, soupirant.
Sa fiancée! Je l'ai promis. A bientôt, seigneur.
Le Roi et Némea montent dans la barque accompagnés de quelques seigneurs. Zéphoris paraît au fond. Il suit Némea des yeux, et semble la contempler encore lorsqu'elle a disparu.

Scène XII.
Kadoor, Zéphoris.
KADOOR, sans voir Zéphoris.
J'ai réussi! Némea ne découvrira jamais la ruse que j'ai employée. Ce pêcheur ...
Zéphoris fait quelques pas comme pour suivre la barque des yeux.
KADOOR.
C'est lui ... Que fait-il donc?
ZÉPHORIS, sans voir Kadoor.
Pourquoi n'es-tu pas née obscure? Pourquoi ne suis-je qu'un pauvre pêcheur?
KADOOR.
Qu'entends-je?
Il va à lui et lui frappe sur l'épaule.
ZÉPHORIS, se retournant.
Seigneur ...
KADOOR.
Tu as promis de te taire.
ZÉPHORIS.
Je tiendrai mon serment.
KADOOR.
Ton serment ne me suffit plus.
ZÉPHORIS.
Que voulez-vous dire?
KADOOR.
Écoute: je suis le prince Kadoor, issu du sang royal, et presque roi moi-même. Zéphoris s'incline. Némea est ma fiancée; demain elle sera ma femme.
ZÉPHORIS.
Votre femme!
KADOOR.
Tu as refusé l'or que je t'offrais ...
ZÉPHORIS.
Mon travail suffira aux besoins de ma sœur.
KADOOR.
Ta sœur sera à l'abri du besoin et tu partiras demain.
ZÉPHORIS.
Partir ... Quoi? vous voulez? ...
KADOOR.
Je t'ai dit ma volonté! Ta sœur me répondra de ton obéissance.
ZÉPHORIS.
Grand Dieu! ma sœur?
KADOOR.
Eh bien?
ZÉPHORIS.
Je partirai, seigneur.
KADOOR.
J'y compte! A part. Maintenant, je suis tranquille, la princesse est bien à moi.
Il sort.

Scène XIII.
ZÉPHORIS, seul.
Partir! ne plus la revoir! Et pourquoi la reverrais-je?

Récitatif.
Elle est princesse! elle est princesse!
O destin, contre moi t'armeras-tu sans cesse?
Je la retrouve et la perds à la fois.
Elle est princesse! elle est princesse!
Que ne suis-je du sang des rois!

Cavatine.
Un regard de ses yeux viendrait finir ma peine
Si j'étais roi.
Je serais à ses pieds et bénirais ma chaîne
Si j'étais roi.
Des plus ardents rivaux je défîrais la haine
Si j'étais roi.
Humble fille ou princesse elle serait ma reine
Si j'étais roi.
Mais je ne suis qu'un pêcheur de la grève,
Son noble sang près du trône l'élève,
Ah! plus d'espoir, doux objet de mon rêve,
Il faut mourir et mourir, loin de toi.
Hélas! un doux regard viendrait finir ma peine
Si j'étais roi.
Humble fille ou princesse elle serait ma reine
Si j'étais roi.
Je n'ai plus que quelques heures à passer en ce lieu chéri, sur ce sable adoré qui fut sa couche et qui est devenue la mienne. Il se jette sur le sable. Doux sable, confident de mes amours ... Il trace avec son doigt des caractères sur le sable. Que de fois ... tu m'as entendu gémir! Que de fois ... Mais, où va s'égarer ma pensée! Quels mots viens-je de tracer sur le sable? Oh! pauvre fou! On entend au loin le chœur des matelots qui reviennent. Zéphoris laisse tomber sa tête sur le sable. Princesse! elle est princesse! Ah! si j'étais roi, roi, roi! ...
Il s'endort. La nuit est venue.

Scène XIV.
Le roi, Némea, Zéphoris endormi. Suite du roi et de la princesse.
CHOEUR ET SCÈNE FINALE.
O barque légère et fidèle!
Tu ressembles à l'hirondelle
Qui rase les flots de son aile
Sans tracer dans l'onde un sillon.
Pour juger la noble chaloupe,
Point n'est besoin, devant sa coupe,
De voir à sa hautaine poupe
Flotter le royal pavillon
La barque aborde, le Roi en descend donnant la main à Némea, des esclaves les précèdent portant des lanternes.
LE ROI, à sa suite.
Prenons le sentier des Bambous;
Nous abrègerons notre route,
Ils descendent la scène.
NÉMEA, voyant Zéphoris dans l'obscurité.
O ciel!
LE ROI.
Qu'avez-vous donc? et pourquoi tremblez-vous?
NÉMEA.
Qui donc est là?
LE ROI.
C'est un pêcheur sans doute.
Il prend une lanterne des mains d'un esclave et se penche sur Zéphoris.
Je l'avais dit ... c'est un pêcheur qui dort,
Insouciant du sort.
Mais que vois-je écrit sur le sable?
Oh! l'histoire admirable!
Je croyais ce pêcheur insouciant du sort;
Mais il s'en occupe, ma chère,
Beaucoup trop au contraire.
NÉMEA.
Et comment donc?
LE ROI.
Lisez ces mots qu'en s'endormant
Il a tracés. – Ah! c'est charmant
NÉMEA, lisant.
Si j'étais roi!
LE ROI.
Si j'étais roi!
ZÉPHORIS, rêvant.
Si j'étais roi!
LE ROI.
Que ferait-il, s'il était roi?
Ah! par ma foi!
Quelle plaisante idée il me vient à cette heure!
Holà! mon médecin!
Le médecin s'approche.
Cet homme dort et je veux qu'il demeure
Dans cet état jusqu'à demain.
Faites-lui respirer cette liqueur magique
A qui j'ai dû souvent un sommeil léthargique.
Le médecin obéit.
LE ROI, á un officier, après lui avoir parlé à voix basse.
Vous m'entendez? allez!
L'officier s'incline et va prévenir les matelots qui prennent leurs avirons et s'approchent de Zéphoris, endormi par le médecin.
LE ROI, au médecin qui accourt vers lui.
Profondément il dort?
C'est bien!
Il fait signe aux matelots d'enlever Zéphoris.
NÉMEA.
Que faites-vous?
LE ROI.
Je répare le tort.
Du ciel envers cet homme;
J'exauce son désir.
NÉMEA.
Eh! quoi?
LE ROI.
Il désire être roi,
Et le roi, pour un jour, lui donne son royaume.
Nous verrons ce qu'il en fera,
Et comment il s'en tirera.
Aux matelots.
Au palais emportez cet homme.
NÉMEA.
L'histoire est unique, je croi.
Elle va s'éloigner, le Roi l'arrête, et lui montrant Zéphoris que les matelots emportent sur leurs rames.
LE ROI, riant.
Devant nous, Némea, laissons passer le roi.
LE ROI ET NÉMEA.
Pauvre pécheur, du trône avide,
Vers les grandeurs ton roi te guide;
Et c'est lui-même qui préside
A ton sommeil;
A ton réveil.
Ils suivent le cortége de Zéphoris.

Fin du premier acte.

libretto by Adolphe d'Ennery, Jules-Henri Brésil 
Contents: Personnages; Acte I; Acte II; Acte III

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